EcclĂ©siaste3:11 - Français Bible Louis Segond - fls. Il fait toute chose bonne en son temps; mĂȘme il a mis dans leur coeur la pensĂ©e de l'Ă©ternitĂ©, bien que l'homme ne puisse pas saisir l'oeuvre que Dieu fait, du commencement jusqu'Ă  la fin.
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11il a fait toute chose belle en son temps ; et il a mis le monde dans leur cƓur, de 14 J’ai connu que tout ce que Dieu fait subsiste Ă  toujours ; il n’y a rien Ă  y ajouter, ni rien Ă  en retrancher ; et Dieu le fait, afin que, devant lui, on craigne. 15 Ce qui est a dĂ©jĂ  Ă©tĂ©, et ce qui est Ă  venir est dĂ©jĂ  arrivĂ©, et Dieu ramĂšne ce qui est passĂ© *. — v. 13 : litt
Ils sont quelques acteurs, trĂšs peu, on les compte sur les doigts d’une main. On ne sait pas forcĂ©ment grand-chose de leurs vies intĂ©rieures, de leurs joies et tourments, mais c’est comme si on les connaissait par cƓur depuis toujours. Ils font partie Ă  la fois de la famille et du patrimoine national. Ils peuvent jouer dans des navets, ils prennent quand mĂȘme toute la lumiĂšre – surtout quand ils jouent dans des navets. On sourit doucement quand on les voit sur grand ou petit Ă©cran. Ils nous apaisent. Patrick Chesnais est de ceux-lĂ . On sent l’humanitĂ© et la gĂ©nĂ©rositĂ© Ă  fleur de peau, quels que soient ses emportements. Il a toujours l’air un peu bougon, mais sympathique. Et puis sa voix aussi, chaleureuse, rocailleuse juste ce qu’il faut. Le sentiment d’éternitĂ© est encore plus fort avec lui, parce qu’on a l’impression de ne l’avoir jamais connu jeune. On lui en voudrait s’il rasait sa moustache ou s’il coupait sa drĂŽle de frange latĂ©rale. On peut dĂ©sormais le dĂ©couvrir de façon bien plus intime. Il vient de publier La vie est belle, je me tue Ă  vous le dire Ed. L’Archipel, un livre-journal fait de chapitres assez courts, qui volent d’un drame Ă  une anecdote, d’un souvenir Ă©mu Ă  une opinion dĂ©finitive. C’est tout sauf nombriliste, il y est beaucoup question des autres. On rit, parce qu’on ne peut pas faire autrement, quand il descend de scĂšne pour aller frapper un spectateur trop bruyant, ou qu’il traite de connard un rĂ©alisateur stalinien qui n’a pas voulu de lui. La mort qui rĂŽde On pleure, Ă©galement, parce que la mort rĂŽde Ă  chaque coin de page. Celles de son pĂšre, de sa mĂšre, de son neveu, aussi, d’une overdose. Celle, omniprĂ©sente, de son fils Ferdinand. Et puis les morts qu’il a lui-mĂȘme frĂŽlĂ©es un accident de voiture dans la stupiditĂ© de la jeunesse et l’alcool mĂ©langĂ©s, une sortie en bateau et un naufrage au sommet de l’angoisse. Un critique avait un jour dit de lui Il est le chaos, donc la vie.» PosĂ© dans son jardin, il a le souffle court pour rĂ©pondre Ă  nos questions. C’est son dix-huitiĂšme jour de Covid-19, et s’il n’a pas subi les symptĂŽmes les plus graves, il avoue quand mĂȘme avoir Ă©tĂ© mis Ă  terre. Une fatigue fracassante.» Il dit qu’il s’est parfois posĂ© pour Ă©crire comme un auteur qui s’astreint aux heures de bureau. Qu’il s’est souvent lancĂ© au grĂ© de ses fulgurances, avec un vrai plaisir Ă  se coucher sur le papier. Je me disais que les autres allaient en prendre aussi, du plaisir, si moi j’en avais eu en Ă©crivant. Je le savais de mon expĂ©rience d’acteur. Rabelais disait J’ai connu tout hors que moi-mĂȘme.» Ce livre, c’était presque une analyse, avec le stylo qui vivait sa vie et dĂ©cidait oĂč m’emmener. Un rĂ©cit d’aventures qui m’a aussi Ă©clairĂ© sur qui je suis moi.» Sur qui il est? Un cancre qui a triplĂ© sa quatriĂšme et fait l’école buissonniĂšre. Un Ă©lĂšve assez douĂ© pour dĂ©crocher le premier prix du Conservatoire de Paris en 1968, avant d’embrasser une carriĂšre sans fin au théùtre et au cinĂ©ma. Une enfance mouvementĂ©e avec un pĂšre rescapĂ© des interrogatoires de la Gestapo, un frĂšre braqueur puis rangĂ© des voitures pour finir directeur d’IBM Pacifique. On se reconnaĂźt» Un sĂ©ducteur, un amoureux, mais un homme brisĂ© son fils Ferdinand est mort Ă  20 ans, passager d’un conducteur ivre qui avait pris le pĂ©riphĂ©rique parisien Ă  contresens. Il a fondĂ© une association qui porte son nom. En tournĂ©e, il croise beaucoup de gens qui viennent lui en parler Je les reconnais tout de suite au milieu des autres. Ils ont vĂ©cu la mĂȘme chose, ils viennent chercher du rĂ©confort. C’est compliquĂ©, il n’y a pas forcĂ©ment grand-chose Ă  dire, mais cet Ă©change fait du bien. On se reconnaĂźt, on est de la mĂȘme communautĂ©. C’est toujours trĂšs digne, sans laisser-aller ni sentimentalisme.» Lire Ă  ce sujet La mort d'un enfant, un sĂ©isme pour les parents Comment fait-on pour rester en vie aprĂšs une telle tragĂ©die? C’est une question qu’on lui a posĂ©e cent fois, peut-ĂȘtre mille. Il rĂ©pond La vie est plus forte que tout. La vie pousse, et elle est lĂ  mĂȘme si vous n’en voulez plus. Il y a des exutoires beaucoup de gens crĂ©ent des associations parce qu’on a envie d’aider les autres, de faire quelque chose pour que ça ne se reproduise pas. Moi, je fais des films et d’autres choses encore pour accompagner Ferdinand le plus loin possible, dans une autre vie. C’est une autre façon de le faire exister.» Ecrit Ă  la main Il a Ă©crit La vie est belle Ă  la main, sur des cahiers, avant de les dicter Ă  Josiane, sa compagne depuis toujours. Sa premiĂšre lectrice et correctrice, un drĂŽle d’exercice pour elle aussi, puisque la vie de Patrick Chesnais a gambadĂ© sur foule de chemins. Une fille avec Josiane, mais aussi deux fils hors mariage. Une situation abordĂ©e du bout de la plume en fin d’ouvrage, avec beaucoup de pudeur. A l’oral, les mots sortent doucement eux aussi Je confirme, c’est une acrobatie de tous les instants pendant des annĂ©es et des annĂ©es. C’est comme ça. Pourquoi, je n’en sais rien, mais ça a existĂ©, et je suis toujours revenu Ă  la femme de ma vie. La vie est un kalĂ©idoscope, mĂȘme si je n’aime pas ce mot, il n’est pas trĂšs heureux.» D’autres viendront sans doute plus tard, pour nourrir d’autres livres. On n’a pas encore tout appris de la vie de Patrick Chesnais. Profil 1947 Naissance Ă  La Garenne-Colombes, dans les Hauts-de-Seine. 1968 Premier prix du Conservatoire de Paris. 1989 CĂ©sar du meilleur acteur pour un second rĂŽle avec La Lectrice», de Michel Deville 2005 Je ne suis pas lĂ  pour ĂȘtre aimé», de StĂ©phane BrizĂ©, nomination au CĂ©sar du meilleur acteur pour 2006 2007 Fonde l’association Ferdinand, pour lutter contre l’alcool au volant. 2020 La vie est belle, je me tue Ă  vous le dire». Retrouvez tous les portraits du Temps».
gloiresoit rendue en dieu.emile. Par shongo lonombe emi, le 23.06.2015 si c'est possible lors de la cueillette il faut bruler la tige avec un briquet afin que la sĂšve reste dans la Par Anonyme, le 07.06.2015 amen que
L’EcclĂ©siaste UN TEMPS POUR TOUT traduit de l’hĂ©breuet commentĂ© par Ernest Renan arlĂ©a PAROLES DE COHÉLET, FILS DE DAVID, ROI DE JÉRUSALEM. I VanitĂ© des vanitĂ©s, disait CohĂ©let ; vanitĂ© des vanitĂ©s ; tout est vanitĂ© ! Quel profit l’homme retire-t-il des peines qu’il se donne sous le soleil ? Une gĂ©nĂ©ration s’en va ; une gĂ©nĂ©ration lui succĂšde ; la terre cependant reste Ă  sa place. Le soleil se lĂšve ; le soleil se couche ; puis il regagne en hĂąte le point oĂč il doit se lever de nouveau. TantĂŽt soufflant vers le sud, ensuite passant au nord, le vent tourne, tourne sans cesse, et revient Ă©ternellement sur les cercles qu’il a dĂ©jĂ  tracĂ©s. Tous les fleuves se jettent dans la mer, et la mer ne regorge pas, et les fleuves reviennent au lieu d’oĂč ils coulent pour couler encore. Tout est difficile Ă  expliquer ; l’homme ne peut rendre compte de rien ; l’Ɠil ne se rassasie pas Ă  force de voir ; l’oreille ne se remplit pas Ă  force d’entendre. Ce qui a Ă©tĂ©, c’est ce qui sera ; ce qui est arrivĂ© arrivera encore. Rien de nouveau sous le soleil. Quand on vous dit de quelque chose Venez voir, c’est du neuf », n’en croyez rien ; la chose dont il s’agit a dĂ©jĂ  existĂ© dans les siĂšcles qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s. Les hommes d’autrefois n’ont plus chez nous de mĂ©moire ; les hommes de l’avenir n’en laisseront pas davantage chez ceux qui viendront aprĂšs eux. II Moi, CohĂ©let, j’ai Ă©tĂ© roi sur IsraĂ«l, Ă  JĂ©rusalem. La premiĂšre application que je fis de mon esprit fut de rechercher et d’examiner avec soin tout ce qui se passe sous le soleil. J’arrivai bientĂŽt Ă  reconnaĂźtre que c’est la pire des occupations que Dieu ait donnĂ©es aux fils d’Adam pour s’y user. Ayant vu, en effet, toutes les choses qui se font sous le soleil, je n’y trouvai que vanitĂ© et pĂąture de vent. On ne peut redresser ce que Dieu crĂ©a courbe, Ni faire quelque chose avec ce qui n’est pas. Je me disais en moi-mĂȘme Me voilĂ  grand ; j’ai accumulĂ© plus de science qu’aucun de ceux qui ont vĂ©cu avant moi dans JĂ©rusalem ; mon intelligence a vu le fond de toute chose ; j’ai appliquĂ© mon esprit Ă  connaĂźtre la sagesse et Ă  la discerner de la folie. » J’appris bien vite que cela aussi est pĂąture de vent ; car Qui thĂ©saurise la sagesse ThĂ©saurise aussi la tristesse,Et trop de science entasserC’est mauvaise humeur amasser. III Alors je me dis Ă  moi-mĂȘme Voyons, essayons de la joie ; goĂ»tons le plaisir. » Je devais reconnaĂźtre que cela aussi est vanitĂ© ; car bientĂŽt Au rire je dis Folie !»Au plaisir Que me veux-tu ? » Je rĂ©solus, dis-je, en mon cƓur de demander au vin le bien-ĂȘtre de ma chair et, sans renoncer pour cela Ă  mes projets de sagesse, d’adhĂ©rer momentanĂ©ment Ă  la folie, jusqu’à ce que j’eusse dĂ©couvert ce qui vaut le mieux pour les fils d’Adam, entre tant d’occupations diverses auxquelles ils se livrent sous le soleil durant les jours de leur vie. Je fis de grandes Ɠuvres ; je me bĂątis des palais ; je me plantai des vignes ; je me construisis des jardins et des parcs ; j’y plantai des arbres fruitiers de toute sorte ; je fis creuser des rĂ©servoirs d’eau pour arroser mes bois de haute futaie ; j’achetai des esclaves des deux sexes ; si bien que le nombre des enfants de ma maison, de mes bƓufs et de mes brebis surpassa celui que personne eĂ»t jamais possĂ©dĂ© avant moi Ă  JĂ©rusalem. En mĂȘme temps, j’entassai dans mes trĂ©sors l’argent, l’or, l’épargne des rois et des provinces ; je me procurai des troupes de chanteurs et de chanteuses et toutes les dĂ©lices des fils d’Adam de quelque genre que ce fĂ»t. Ainsi je devins plus grand et j’amassai plus de bien que tous ceux qui avaient Ă©tĂ© avant moi Ă  JĂ©rusalem, sans que pour cela ma sagesse m’abandonnĂąt. Et je ne refusai Ă  mes yeux rien de ce qu’ils souhaitĂšrent, je n’interdis Ă  mon cƓur aucune joie. AprĂšs tout, me disais-je, je ne fais que jouir de ce que j’ai gagnĂ© par mon travail ; ces plaisirs sont la rĂ©compense des peines que je me suis donnĂ©es. » Puis, m’étant mis Ă  considĂ©rer les Ɠuvres de mes mains et les travaux auxquels je m’étais livrĂ©, je reconnus que tout est vanitĂ© et pĂąture de vent, que rien n’est profit solide sous le soleil. IV Je me pris alors Ă  Ă©tudier quelle diffĂ©rence il peut y avoir entre la sagesse d’une part, la folie et la sottise de l’autre. Car, me disais-je, quel homme venant aprĂšs un roi peut refaire les expĂ©riences qu’il a faites ? » Je crus d’abord que la supĂ©rioritĂ© de la sagesse sur la sottise est comme la supĂ©rioritĂ© de la lumiĂšre sur les tĂ©nĂšbres. Le sage a des yeux dans sa tĂȘte, Et le fou marche dans la nuit. Or bientĂŽt je vis qu’une mĂȘme fin est rĂ©servĂ©e Ă  tous les deux. Et je pensai en moi-mĂȘme Si la destinĂ©e qui m’attend est la mĂȘme que celle du fou, que me sert alors d’avoir travaillĂ© sans relĂąche Ă  augmenter ma sagesse ? » Et je dis en mon cƓur Encore une vanitĂ©. » Il n’y a pas plus de souvenir Ă©ternel pour le sage que pour le fou. Dans ce qui sera le passĂ© des jours Ă  venir, tout sera oubliĂ©. Comment se fait-il que le sage et le fou meurent de la mĂȘme maniĂšre ?... Ces rĂ©flexions me firent prendre la vie en haine ; j’eus de l’aversion pour tout ce qui se passe sous le soleil, voyant que tout est vanitĂ© et pĂąture de vent. Et je pris en dĂ©goĂ»t les travaux auxquels je m’étais livrĂ© sous le soleil, songeant qu’il faudrait en laisser le fruit Ă  l’homme qui me succĂ©dera. Or cet homme, qui sait s’il sera sage ou fou ? Et c’est cet homme-lĂ  qui sera le maĂźtre de tout ce que j’ai gagnĂ© par les travaux que j’ai menĂ©s Ă  fin avec tant de labeur et de sagesse sous le soleil ! Encore une fois, vanitĂ© ! Je me pris donc Ă  n’avoir que du dĂ©goĂ»t au cƓur pour tous les travaux auxquels je m’étais livrĂ© sous le soleil. VoilĂ  un homme dont la vie laborieuse a Ă©tĂ© un chef-d’Ɠuvre de sagesse, de savoir et de bonne fortune, eh bien, il laisse tout ce qu’il a gagnĂ©, sa juste part, Ă  quelqu’un qui n’y a Ă©tĂ© pour rien. Quelle vanitĂ© ! Quel abus ! car enfin que revient-il ainsi Ă  cet homme-lĂ  de toutes les peines et de tous les soucis qu’il s’est donnĂ©s sous le soleil ? Ses jours ont Ă©tĂ© pleins d’ennui ; l’inquiĂ©tude a Ă©tĂ© son Ă©tat habituel ; mĂȘme la nuit son esprit ne dormait pas. Ô vanitĂ© ! Ne vaut-il donc pas mieux pour l’homme, manger, boire, goĂ»ter Ă  son aise le plaisir conquis au prix de son travail ? J’arrivai mĂȘme Ă  penser que ce genre de bonheur nous vient de la main de Dieu. Si l’on mange, si l’on boit, n’est-ce pas grĂące Ă  lui ? Il donne Ă  celui qui lui plaĂźt sagesse, intelligence et joie ; Ă  celui qui encourt sa disgrĂące il assigne la besogne d’amasser, d’entasser des richesses qu’il donne ensuite Ă  celui qui lui plaĂźt. Donc, encore une fois VanitĂ© ! pĂąture de vent ! V Il y a temps pour tout, et chaque chose sous le ciel a son heure Temps de naĂźtre et temps de mourir, Temps de tuer, temps de guĂ©rir, Temps de planter, temps de dĂ©truire, Temps de bĂątir, temps d’arracher, Temps de gĂ©mir, temps de danser, Temps de pleurer et temps de d’assembler les blocs, temps de les disperser, Temps d’aimer les baisers et temps de les maudire, Temps de poursuivre un rĂȘve ou de se d’interdire, Temps d’aimer un objet, temps de le repousser. Temps oĂč l’on coud, oĂč l’on dĂ©chire, Temps oĂč l’on garde, oĂč l’on se tait, Temps oĂč l’on hait, oĂč l’on soupire, Temps de la guerre et temps de paix. Que reste-t-il donc Ă  l’homme, des peines qu’il a prises ? J’ai vu toutes les occupations que Dieu a donnĂ©es aux fils d’Adam pour qu’ils s’y abrutissent. Il a fait toute chose bonne Ă  son heure ; le monde, il le dĂ©roule devant les hommes, mais de façon que, d’un bout Ă  l’autre, ils ne puissent rien comprendre Ă  ses desseins. Donc, conclus-je alors, il n’y a qu’une seule chose bonne pour l’homme, c’est de se rĂ©jouir et de goĂ»ter le bonheur pendant qu’il vit. Oui, quand un homme mange, boit, jouit du bien-ĂȘtre acquis par son travail, cela est un don de Dieu. Je vis clairement que tout ce que Dieu a fait restera Ă©ternellement tel qu’il l’a fait. Rien n’y peut ĂȘtre ajoutĂ© ; on n’en saurait rien retrancher. Tout cela, Dieu l’a fait pour qu’on le craigne. Le passĂ© a existĂ© dans un passĂ© antĂ©rieur ; l’avenir a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© ; Dieu recherche, pour le faire ĂȘtre encore, ce qui semblait avoir fui pour jamais. VI J’ai vu une autre chose sous le soleil c’est le mĂ©chant assis au lieu oĂč se rendent les jugements et l’iniquitĂ© trĂŽnant sur le siĂšge de justice. Dieu, me suis-je dit d’abord, jugera le juste et le mĂ©chant ; car il a fixĂ© un temps Ă  toute chose. » Mais bientĂŽt j’ai reconnu que les enfants d’Adam ne sont pas aussi privilĂ©giĂ©s de Dieu qu’ils le paraissent et qu’ils n’ont en rĂ©alitĂ© aucune supĂ©rioritĂ© sur l’animal. Car la destinĂ©e des enfants d’Adam et celle des animaux sont une seule et mĂȘme chose. La mort des uns, c’est la mort des autres ; il n’y a qu’un mĂȘme souffle en tout ; la supĂ©rioritĂ© de l’homme sur l’animal n’existe pas ; tout est vanitĂ©. Tout va vers un mĂȘme lieu. Tout est venu de la poussiĂšre et tout retourne Ă  la poussiĂšre. Qui sait si, tandis que le souffle des enfants d’Adam monte en haut, le souffle de l’animal descend en bas, vers la terre ? Je me confirmai donc dans cette pensĂ©e qu’il n’y a pour l’homme qu’une seule chose vraiment bonne, c’est de jouir lui-mĂȘme du fruit de ses Ɠuvres ; c’est lĂ  son vrai lot en effet, aprĂšs sa mort, qui le ramĂšnera pour voir comment les choses se passeront ? VII Et je me remis Ă  observer, et je vis les actes d’oppression qui se passent sous le soleil. Partout des opprimĂ©s baignĂ©s de larmes, et personne pour les consoler ! Des gens suppliant qu’on les tire des mains de ceux qui les oppriment, et personne pour les dĂ©livrer Alors je fĂ©licitai les morts et je prĂ©fĂ©rai le sort de ceux qui ont disparu avant nous au sort des vivants dont l’existence s’est prolongĂ©e jusqu’à prĂ©sent. Plus heureux que les uns et que les autres me parurent ceux qui n’ont jamais existĂ©, puisqu’ils n’ont pas vu les choses qui se passent sous le soleil. Je compris que tout effort, tout succĂšs se rĂ©sume en jalousie, en dĂ©sir de surpasser son semblable. Encore une vanitĂ©, une pĂąture de vent ! L’insensĂ© se croise les mains Et vit de sa propre substance. Mieux vaut une poignĂ©e de bonheur calme que les deux mains pleines de labeur et de vains soucis. VIII Autre vanitĂ© que j’ai vue sous le soleil un homme seul, qui n’a personne pour lui succĂ©der[1], ni fils ni frĂšre, et il travaille tout de mĂȘme sans relĂąche, et son Ɠil ne se rassasie pas de voir affluer chez lui les richesses. Eh ! pour qui donc travaillĂ©-je, se dit-il parfois, et privĂ©-je mon Ăąme de tout plaisir ? » Encore une vanitĂ©, une triste chose ! Deux valent mieux qu’un ; car, quand deux sont associĂ©s, leur travail a sa rĂ©compense. Si l’un des deux tombe, l’autre le relĂšve ; mais malheur Ă  l’homme seul ! S’il tombe, il n’a pas de second pour le relever. Si deux sont couchĂ©s ensemble, ils ont chaud ; mais l’homme seul, comment se rechauffera-t-il ? Quand le brigand s’attaque au voyageur qui a un compagnon, tous deux se rĂ©unissent pour lui tenir tĂȘte. Le fil tressĂ© de trois brins ne se rompt pas vite. IX Mieux vaut un garçon pauvre et avisĂ© qu’un vieux roi absurde, qui ne sait plus se laisser Ă©clairer. Tel passe en un moment de la prison au trĂŽne ; Tel est nĂ© misĂ©rable en ses futurs Ă©tats. J’ai vu tout le monde s’empresser Ă  la suite du jeune hĂ©ritier qui doit succĂ©der au vieux roi. Infinis ont Ă©tĂ© les maux qu’on a soufferts dans le passĂ© ; mais, dans l’avenir, on n’aura pas plus Ă  se rĂ©jouir de celui-ci... Toujours vanitĂ© et pĂąture de vent! X Observe bien tes pas quand tu vas Ă  la maison de Dieu. Mieux vaut l’obĂ©issance Ă  la loi que les sacrifices des sots qui ne savent que faire le mal. RĂ©prime les empressements de ta bouche, et que ton cƓur ne se hĂąte pas de profĂ©rer des promesses en prĂ©sence de Dieu ; car Dieu est dans le ciel, et, toi, tu es sur la terre. Que tes paroles soient donc en petit nombre. Les songes, en effet, viennent Ă  tout propos, La voix du sot se perd en un flot de paroles. Quand tu as fait un vƓu Ă  Dieu, ne tarde pas Ă  l’accomplir ; Dieu n’aime pas les sots. Acquitte ce que tu as vouĂ© ; mieux vaut ne pas faire de vƓux que d’en faire et de ne pas les accomplir. Ne permets pas Ă  ta propre bouche de te constituer pĂ©cheur, et ne te mets pas en situation d’ĂȘtre obligĂ© de dire Ă  l’envoyĂ© des prĂȘtres C’était une erreur », de peur que Dieu ne s’irrite et qu’il n’anĂ©antisse l’Ɠuvre de tes mains. Tous ces songes n’aboutissent qu’à un tas de paroles vaines ; crains plutĂŽt Dieu ! XI Si tu vois dans la province le pauvre opprimĂ© et la rapine prendre la place de la justice et du jugement, ne t’en Ă©tonne pas ; c’est que les grands sont surveillĂ©s par des grands et qu’au-dessus d’eux il y a des grands encore. L’excellence de la terre se montre en tout ; le roi mĂȘme est soumis aux champs. Celui qui aime l’argent est insatiable d’argent ; celui qui aime l’opulence n’en goĂ»te pas toujours les fruits. Quelle vanitĂ© encore ! Quand s’augmente la fortune, se multiplient ceux qui la grugent et le propriĂ©taire n’en tire d’autre avantage que de voir la chose de ses yeux. Doux est le sommeil du laboureur, qu’il mange peu ou beaucoup, tandis que la satiĂ©tĂ© ne permet pas au riche de dormir. XII Il y a un travers bizarre que j’ai vu sous le soleil c’est la richesse qu’un possesseur jaloux garde soigneusement pour son hĂ©ritier. Que cette richesse vienne Ă  pĂ©rir par quelque accident et le fils qu’il a mis au monde a les mains vides. Quant Ă  lui, sorti nu du sein de sa mĂšre, il s’en va tel qu’il est venu, et il n’est pas une parcelle du fruit de son travail qu’il puisse emporter dans sa main. Oui, c’est lĂ  un travers bizarre. De la mĂȘme façon qu’il est venu, il s’en ira... Quel profit lui revient-il d’avoir travaillĂ© pour le vent ? Tous ses jours se sont passĂ©s sombres et tristes ; il a Ă©normĂ©ment peinĂ© ; sa vie n’a Ă©tĂ© qu’impatience. Mon avis est donc que le meilleur parti pour l’homme est de manger, de boire et de jouir du fruit des peines qu’il s’est donnĂ©es sous le soleil, durant le nombre de jours que Dieu lui a comptĂ©. VoilĂ  son vrai lot. Toutes les fois que Dieu accorde Ă  un homme des richesses, des trĂ©sors, et qu’il lui permet d’en goĂ»ter, d’en prendre sa part, de se rĂ©jouir du fruit de son travail, il faut regarder cela comme un don de Dieu. L’homme, en effet, cesse de penser Ă  la briĂšvetĂ© des jours de sa vie tout le temps que Dieu tient son cƓur en joie. XIII Encore un mal que j’ai vu sous le soleil et qui pĂšse lourdement sur l’humanitĂ©. C’est le cas d’un homme Ă  qui Dieu a donnĂ© richesse, trĂ©sors, honneurs, qui ne manque de rien de ce qu’il dĂ©sire, et Ă  qui Dieu ne permet pas de jouir de sa fortune, si bien qu’un Ă©tranger mange le tout Ă  sa place. VoilĂ  une vanitĂ© et un abus Ă©trange ! Quand mĂȘme un homme donnerait le jour Ă  cent fils et qu’il vĂ©cĂ»t des annĂ©es aussi nombreuses que l’on voudra, s’il ne goĂ»te aucun plaisir, et qu’aprĂšs sa mort il n’ait pas de sĂ©pulture, je dis que le sort de l’avorton vaut mieux que le sien. L’avorton est venu dans le vide, il s’en va dans les tĂ©nĂšbres ; son nom est recouvert Ă  jamais par la nuit ; il n’a pas vu le soleil. Mieux vaut son sort que celui de cet homme. Lors mĂȘme qu’on vivrait deux fois mille ans, si avec cela on ne jouit d’aucun plaisir, qu’est-ce que cela ? Toutes les choses n’aboutissent-elles pas au mĂȘme terme ? XIV L’homme ne travaille que pour sa bouche et n’arrive pas encore Ă  se rassasier. Quel avantage a le sage sur le fou ? Que revient-il Ă  l’homme modeste qui s’applique Ă  marcher avec sagesse devant les vivants ? Mieux vaut vivre Ă  sa guise que de s’extĂ©nuer. Trop de vertu est aussi une vanitĂ©, une pĂąture de vent. Tout ce qui existe est dĂ©terminĂ© avant d’exister; tel ĂȘtre a Ă©tĂ© prĂ©destinĂ© Ă  naĂźtre homme ; il ne pourra pas tenir tĂȘte Ă  plus fort que lui. XV Il y a une sagesse qui s’en va rĂ©pĂ©tant Ă  tout propos VanitĂ© !... quel profit pour l’homme ?... Qui sait ce qui est bon pour l’homme durant le petit nombre de jours qu’il passe parmi les vivants, jours frivoles qui fuient comme une ombre ?... Qui peut enseigner Ă  l’homme ce qui aprĂšs lui se passera sous le soleil ? » Mieux vaut un bon renom que l’huile parfumĂ©e ; Mieux vaut le dernier jour que le jour oĂč l’on naĂźt. Mieux vaut aller Ă  la maison des pleurs Qu’à la maison oĂč se donne la fĂȘte A tous la mĂȘme fin s’apprĂȘte; Vivants, rentrez donc en vos cƓurs. Mieux vaut le souci que le rire ;La tristesse du front est bonne pour le cƓur. Le sage toujours pense Ă  la maison de deuil; Le fou ne sait rĂȘver qu’à la maison de joie. Mieux vaut le ton grondeur du sage Que la chanson de l’insensĂ©. Les rires de l’écervelĂ© Ressemblent au bruit du feuillage Qui crĂ©pite sous le trĂ©pied. Eh bien, cela aussi est vanitĂ© ; L’oppression fait d’un sage un fou, Et perd le cƓur le plus vaut la fin que le commencement ; L’attente rĂ©ussit mieux que l’emportement. Ne sois donc pas prompt Ă  t’emporter ; car DĂ©pit, au sein des fous, Ă©lit son domicile. XVI Garde-toi de dire Comment se fait-il que les jours d’autrefois valaient mieux que ceux d’à prĂ©sent ? » Une pareille question n’est rien moins que sage. Sagesse vaut richesse pendant qu’on voit le soleil. L’abri que procure la sagesse vaut l’abri que donne l’argent, et la sagesse a un avantage, c’est qu’elle procure longue vie Ă  celui qui la possĂšde. ConsidĂšre l’Ɠuvre de Dieu ; Qui peut redresserCe qu’il a fait courbe ? Au jour du bonheur, sois en joie et, au jour du malheur, considĂšre que Dieu a fait le bien comme le mal ; jouis du prĂ©sent ; l’homme, en effet, une fois mort, ne trouvera rien aprĂšs lui. XVII J’ai vu tout arriver dans les jours de ma vaine existence. Tel juste pĂ©rit nonobstant sa justice ; et tel scĂ©lĂ©rat coule de longs jours nonobstant sa scĂ©lĂ©ratesse. Ne sois pas trop juste et n’affecte pas trop de sagesse, de peur d’ĂȘtre un niais. Ne sois pas non plus trop mĂ©chant, ne va pas jusqu’à la folie, de peur que tu ne meures avant le temps. La perfection c’est, tout en s’attachant Ă  un principe, de ne pas lĂącher le principe opposĂ© ; par la crainte de Dieu on sort de tous les embarras. La sagesse est pour le sage une force supĂ©rieure Ă  ce que sont dix capitaines pour une ville. Il n’y a pas d’homme juste sur la terre ; pas un seul qui fasse le bien et ne pĂšche pas. Laisse donc, sans les remarquer, bien des choses qui se disent. Par exemple, quand ton esclave profĂšre des malĂ©dictions contre toi, garde-toi d'entendre ; songe en toi-mĂȘme que souvent aussi il t’est arrivĂ© de profĂ©rer des malĂ©dictions contre les autres. J’ai examinĂ© tout cela en sage, me disant sans cesse Allons, plus de sagesse encore ! » Et voilĂ  que la sagesse est toujours restĂ©e loin de moi Qui peut saisir l’objet que le lointain dĂ©robe ? Qui peut toucher le fond de l’abĂźme sans fond ? XVIII Or, dans cette investigation universelle, dans cette recherche pour trouver ce qui est le parti le plus sage et le plus avisĂ©, dans cet examen qui fit passer devant mes yeux toutes les malices, toutes les insanitĂ©s, toutes les absurditĂ©s, toutes les folies, j’ai trouvĂ© quelque chose de plus amer que la mort c’est la femme dont le cƓur est un lac, un filet, et dont les mains sont des chaĂźnes. Celui qui plaĂźt Ă  Dieu se sauve d’elle ; le disgraciĂ© de Dieu s’y laisse prendre. Voyez, ceci est le rĂ©sultat de mon expĂ©rience, dit le CohĂ©let. En les prenant toutes une Ă  une, pour dresser la longue liste des choses que j’ai cherchĂ©es sans les avoir trouvĂ©es, je crois que j’ai bien trouvĂ© un homme sur mille ; mais une femme parmi toutes celles que j’ai connues, je n’en ai pas trouvĂ© une seule ! Tenez, voici ce que j’ai trouvĂ© c’est que Dieu a fait la nature humaine droite, et que ce sont les hommes qui inventent des roueries sans fin. » XIX Oh ! la belle chose qu’un sage ! Heureux qui sait le mot de tout !La sagesse d’un homme Ă©claire son visage, Tandis que l’insolent est bien prĂšs d’ĂȘtre un fou. Aie les yeux fixĂ©s sur la bouche du roi, pour lui obĂ©ir, comme si tu en avais prĂȘtĂ© le serment Ă  Dieu. Ne sors pas prĂ©cipitamment de sa prĂ©sence ; ne persiste pas avec lui dans des propos dĂ©sagrĂ©ables ; car il fait tout ce qu’il veut. Un mot d’un roi, c’est une force ; Qui peut lui dire Que fais-tu ? » Celui qui exĂ©cute bien l’ordre qu’il a reçu ne connaĂźtra pas la disgrĂące. Un esprit sage sait discerner le moment favorable et la maniĂšre de s’y prendre ; car, en toute chose, il y a le moment favorable et la maniĂšre de s’y prendre. Ce qui rend la condition de l’homme si mauvaise, c’est qu’il ignore ce qui doit arriver et que nul ne peut lui indiquer comment les choses se passeront. Personne n’a pouvoir sur le vent pour emprisonner le vent ; personne n’a pouvoir sur le jour de la mort, ni assurance de s’échapper le jour de la bataille. MĂȘme la richesse, Ă  ces moments-lĂ , ne sauve pas toujours son propriĂ©taire. XX J’ai vu tout cela et j’ai appliquĂ© ma pensĂ©e aux faits qui arrivent sous le soleil, dans un temps oĂč l’homme ne domine sur l’homme que pour lui faire du mal. Ainsi j’ai vu des enterrements de scĂ©lĂ©rats. Le convoi est en marche, s’éloigne en procession du lieu saint, et on entend faire l’éloge de ces misĂ©rables dans la ville oĂč ils ont commis leurs mĂ©faits. Encore une vanitĂ© ! C’est parce que prompte justice n’est pas faite du mal que les hommes sont enhardis Ă  pratiquer le mal. Tel pĂ©cheur qui a commis cent crimes arrive Ă  un Ăąge avancĂ©, et cependant on m’a enseignĂ© que le bonheur est rĂ©servĂ© Ă  ceux qui craignent Dieu, pour leur apprendre Ă  le craindre ; que le bonheur ne saurait ĂȘtre le partage du mĂ©chant ; que celui-ci ne vit pas longtemps ; que ses jours sont comme une ombre et cela parce qu’il ne craint pas Dieu. Est-il un renversement comparable Ă  celui-ci des justes qui sont traitĂ©s selon les Ɠuvres des mĂ©chants, des mĂ©chants qui sont traitĂ©s selon les Ɠuvres des justes ? Encore une vanitĂ© ! », me suis-je dit. Alors j’ai chantĂ© un hymne Ă  la joie, puisqu’il n’y a rien de bon pour l’homme sous le soleil que de manger, de boire, de se rĂ©jouir, et que c’est lĂ  tout ce qui lui reste des travaux auxquels il s’est livrĂ© durant les jours de vie que Dieu lui a donnĂ©s sous le soleil. Cherchant la vĂ©ritĂ©, poursuivant ma tentative de savoir tout ce qui se passe sur la terre, je vis ainsi les Ɠuvres de Dieu passer sous mon regard et je reconnus que l’homme, quand mĂȘme jour et nuit il refuserait le sommeil Ă  ses yeux, ne saurait arriver Ă  la comprĂ©hension de ce qui arrive sous le soleil. Non, quelque effort, quelque recherche qu’il fasse, il n’y arrivera jamais, et tel savant qui prĂ©tend en savoir quelque chose en rĂ©alitĂ© n’y comprend rien. XXI J'ai donc rĂ©flĂ©chi Ă  tout cela, et le fruit de mes rĂ©flexions a Ă©tĂ© que le sort des justes et des sages, comme celui de tout le monde, est, quoi qu’ils fassent, dans la main de Dieu. Amour et haine sont Ă©galement frivoles. L’homme ne sait rien ; tout ce qui le touche est vanitĂ©. Il n’y a, en effet, qu’une mĂȘme destinĂ©e pour tous, pour le juste comme pour le mĂ©chant, pour l’homme vertueux comme pour l’impie, pour celui qui est pur comme pour celui qui est souillĂ©, pour celui qui sacrifie comme pour celui qui ne sacrifie pas. Le meilleur des hommes est traitĂ© comme le pĂ©cheur, le parjure comme celui qui respecte le serment. VoilĂ  le plus grand mal qu’il y ait sous le soleil, c’est qu’il n’y ait qu’une mĂȘme destinĂ©e pour tous. VoilĂ  pourquoi l’ñme des enfants d’Adam est pleine de mĂ©chancetĂ©. La folie habite leur cƓur pendant leur vie ; aprĂšs cela, ils s’en vont chez les morts. Or cela vaut-il mieux ? Non. Les vivants au moins ont l’espoir. Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort. Les vivants savent qu’ils mourront tandis que les morts ne savent rien. Pour eux, plus de rĂ©compense, car leur mĂ©moire est oubliĂ©e. Leurs amours, leurs haines, leurs rivalitĂ©s ont pĂ©ri depuis longtemps, et il n’y a plus dĂ©sormais de part pour eux en tout ce qui se fait sous le soleil. Or sus donc ! mange ton pain en liesse, bois ton vin en bonne humeur, puisque Dieu a fait prospĂ©rer tes affaires. Que toujours tes habits soient blancs, que les parfums ne cessent de couler sur ta tĂȘte. Savoure la vie avec la femme que tu aimes, tous les jours de ce court passage que Dieu t’a donnĂ© d’accomplir sous le soleil, tous les jours, dis-je, de ta frivole existence ; car voilĂ  ton vrai lot, le prix des peines que tu t’es donnĂ©es sous le soleil. Toute affaire qui se prĂ©sente Ă  la portĂ©e de ta main, fais-la vite ; car il n’y aura ni activitĂ©, ni pensĂ©e, ni savoir, ni sagesse dans le scheol vers lequel se dirigent tous tes pas. XXII J’ai vu encore sous le soleil que, quand il s’agit de course, on ne s’adresse pas au meilleur coureur ; que, quand il s’agit de guerre, on ne fait point appel aux braves ; que le pain n’est pas pour les sages, ni la richesse pour les intelligents, ni la faveur pour ceux qui savent. Les circonstances et le hasard rĂšglent tout et l’homme ne connaĂźt pas plus l’heure de sa destinĂ©e que les poissons pris dans les rets et les oiseaux pris au piĂšge. Comme eux, les fils d’Adam sont engagĂ©s dans les filets pour l’heure fatale qui tombe sur eux Ă  l’improviste. Voici un exemple de sagesse que j’ai vu sous le soleil, et qui m’a paru frappant. Il y avait une petite ville qui comptait trĂšs peu d’habitants ; un roi puissant marcha contre elle, l’assiĂ©gea et bĂątit autour d’elle de grandes contrevallations. Or il se trouva dans cette ville un pauvre homme sage, et il fit si bien qu’il dĂ©livra la ville par sa sagesse. Et maintenant personne ne se souvient de ce pauvre homme. Et je fis deux rĂ©flexions Mieux vaut sagesse Que sagesse du pauvre est vite mĂ©prisĂ©e ; A ses conseils toute oreille est fermĂ©e. XXIII La voix du sage, Ă©coutĂ©e en silence,Vaut mieux que les clameurs du roi des Ă©tourdis. La sagesse vaut mieux que les engins de guerre ; d’un autre cĂŽtĂ© un seul pĂ©cheur suffit pour annuler beaucoup de bien. Une mouche morte gĂąte tout un vase de parfums ; de mĂȘme tout le prix de la sagesse et de la gloire est dĂ©truit par un peu de folie. A droite est le cƓur du sage ;A gauche est le cƓur du sot. Rien qu’à voir le sot faire un pas sur la route, on voit que la tĂȘte lui fait dĂ©faut ; par sa seule dĂ©marche il dit Ă  tout le monde Je suis un sot. » Il faut savoir se tenir. Si la colĂšre du souverain s’allume contre toi, ne quitte pas trop vite ta place ; car, si on se lĂšve trop vite, on donne lieu de croire qu’on a commis de grands mĂ©faits. XXIV Il y a un abus que j’ai vu sous le soleil et dont les autoritĂ©s sont la cause ; c’est quand les gens de rien sont placĂ©s en haut, et que les grands, les notables sont assis en bas. J’ai vu les valets Ă  cheval et les princes marcher Ă  terre comme des valets. On aura les consĂ©quences. Celui qui creuse une fosse y tombe ; celui qui dĂ©molit une muraille, le serpent le mord. Celui qui taille les pierres est atteint par les Ă©clats ; celui qui fend du bois en reçoit toujours quelque blessure. Un fer Ă©moussĂ©, dont on n’a pas affilĂ© le tranchant, est une force encore ; ainsi la sagesse finit par l’emporter. Quand le serpent mord celui qui le charme, quel beau profit pour le charmeur ! La parole du sage est de grĂące remplie, Et les lĂšvres du sot sont causes de sa mort. Il dĂ©bute par l’ineptie ; il finit par la plus triste insanitĂ©. Le niais multiplie les paroles. L’homme ne sait pas ce qui a Ă©tĂ© avant lui ; qui donc lui rĂ©vĂ©lerait ce qui aura lieu aprĂšs lui ? Bien sot qui prend pour lui le travail fatigant et n’a pas l’idĂ©e de venir Ă  la ville. XXV Malheur Ă  toi, pays qui as pour roi un esclave et dont les princes sont Ă  table dĂšs le matin ! Heureux pays, au contraire, qui as pour roi un fils d’homme libre et dont les princes mangent Ă  l’heure convenable, pour rĂ©parer leurs forces, non par sensualitĂ©. Le plancher s’effondre bien viteSur la tĂȘte des nonchalants ;Et la maison fait eau par suite Des bras balants. MisĂ©rables, qui se font un jeu du pain et du vin, faits pour rĂ©jouir honnĂȘtement la vie... L’argent couvre tout... Sous un tel gouvernement, il faut se dĂ©fier. MĂȘme quand tu es seul avec toi-mĂȘme, ne maugrĂ©e pas contre le roi ; au fond de ta chambre Ă  coucher, ne dis pas un mot contre l'homme puissant ; car l’oiseau du ciel pourrait saisir tes paroles et les faire voyager ; la gent ailĂ©e pourrait rapporter ce que tu as dit. XXVI Lance hardiment ta fortune en haute mer ; avec le temps, tu la retrouveras agrandie. Fais-en sept parts et mĂȘme huit ; car tu ne sais pas quel malheur peut tomber sur la terre. Quand le ciel se charge de nuages, c’est qu’une averse va tomber ; quand l’arbre se couche au midi ou au nord, l’endroit oĂč il tombe, c’est l’endroit oĂč il reste. Qui sur le vent trop dĂ©libĂšrePerd le moment d’ensemencer ; Qui toujours le ciel considĂšre Manque l’heure de moissonner. De mĂȘme que tu ignores la route que suit le souffle de vie pour arriver aux os de l’embryon dans le sein de la femme enceinte ; de mĂȘme que tu ne sais rien de la façon dont Dieu fait ce qu’il fait. SĂšme le matin, et le soir ne laisse pas reposer ta main ; car tu ne sais pas si c’est la semaille du matin ou celle du soir qui doit rĂ©ussir, ou si toutes les deux sont Ă©galement bonnes. TrĂšs douce est la lumiĂšre ;Rien n’est bon pour les yeux comme voir le soleil. Si un homme vit de nombreuses annĂ©es, toujours en joie, qu’il n’oublie pas que les jours sombres viendront et seront plus nombreux que les jours Ă©coulĂ©s. Tout est vanitĂ©. XXVII RĂ©jouis-toi, jeune homme, durant ta jeunesse, et amuse-toi dans les jours de ton adolescence ; marche dans les voies de ton caprice et selon ce qui te semble agrĂ©able ; mais sache que Dieu te demandera compte de tout cela. Écarte le souci de ton cƓur, Ă©pargne toute fatigue Ă  ta chair ; hĂąte-toi, car la jeunesse et la fraĂźcheur passent vite. Souviens-toi de ton crĂ©ateur aux jours de ta jeunesse, avant que viennent les jours du mal et qu’approchent les annĂ©es dont tu diras Rien ne m’y plaĂźt. » Avant que s’obscurcissent le soleil et la lumiĂšre, la lune et les Ă©toiles, et que les nuages remontent aussitĂŽt aprĂšs l’ondĂ©e ; Quand trĂ©buchent les sentinelles Debout sur le seuil du logis ; Quand se voilent les demoiselles Qui regardent par les treillis ; Quand des forts les roideurs flĂ©chissent ; Quand les servantes du moulin, En nombre insuffisant, mollissent Et cessent de broyer le grain ;Quand, chaque jour, on voit se fermer quelque porte, Du cĂŽtĂ© du bazar, entre le monde et soi ;Quand, des bruits du dehors, le vent ne vous apporte Que le cri de la meule et son grincement froid ; Quand du petit oiseau les chansons matinales Dissipent un sommeil venu tardivement ; Quand aux accords charmants des notes virginales SuccĂšde le repos du dĂ©senchantement ; Quand on craint les moindres montĂ©es, Que tout dans le chemin fait peur,Que pour la sauterelle on n’a que des nausĂ©es, Que l’amande est trop dure Ă  des dents Ă©brĂ©chĂ©es Et la cĂąpre impuissante Ă  rendre la vigueur Signe Ă©vident que dĂ©jĂ  l’on s’engageDans le chemin qui mĂšne au manoir Ă©ternel, Et que, dans le bazar, les pleureuses Ă  gage BientĂŽt vont commencer leur pas processionnel ; Avant que se rompe le cordon d’argent et que se brise l’ampoule d’or, que le seau se disloque sur la fontaine, que la poulie roule dans la citerne et que la poussiĂšre, faisant retour Ă  la terre, redevienne ce qu’elle Ă©tait d’abord, tandis que le souffle remontera vers Dieu qui l’a donnĂ©. VanitĂ© des vanitĂ©s, disait le CohĂ©let ; tout est vanitĂ©. Et, comme CohĂ©let possĂ©dait, outre cela, des trĂ©sors de sagesse, il continua d’enseigner le peuple ; il pesa, il scruta, il composa encore beaucoup de proverbes. CohĂ©let rechercha les paroles charmantes ; En maĂźtre il Ă©crivit les maximes du vrai. ÉPILOGUE AjoutĂ© Ă  une Ă©poque oĂč le livre CohĂ©let fermait le recueil des hagiographes. Les dires des sages Sont des aiguillons, Des clous qui soulagent Les efforts volages De l’attention. Le concile antique Nous les a transmis Comme Ɠuvre authentique, Vraiment canonique, D’un unique esprit. Maintenant c’est assez ; lorsqu’on t’apportera D’autres livres, mon fils, ne les accepte pas ; Jamais ne finira la rage d’en Ă©crire ; Mais la chair se fatigue Ă  vouloir tous les lire. RÉSUMÉ Tout bien entendu, crains Dieu et observe ses commandements ; car c’est lĂ  tout l’homme. Il n’y a pas d’acte sur lequel ne doive s’exercer le jugement de Dieu, qu’il s’agisse de choses connues ou cachĂ©es, de bien ou de mal. ÉTUDE SUR L’AGE ET LE CARACTÈRE DU LIVRE Dans ce volume, Ă©trange et admirable, que la nation juive a donnĂ© Ă  l’humanitĂ© et que tous les peuples ont appelĂ© la Bible, la pensĂ©e religieuse est tellement dominante qu’on est d’abord surpris d’y trouver quelques pages profanes. Le Cantique des cantiques prouve, comme on aurait bien pu le supposer a priori, que le vieil IsraĂ«l fut jeune Ă  son jour. Un second livre plus singulier, L’EcclĂ©siaste, montre que ce peuple, livrĂ© en apparence tout entier Ă  la passion de la justice, ce vengeur ardent de l’honneur de JĂ©hovah, fut sceptique Ă  certaines heures. J’ai essayĂ© de faire connaĂźtre Le Cantique des cantiques et de rĂ©soudre quelques-unes des difficultĂ©s qu’il prĂ©sente. Je regarde comme indispensable au tableau que j’ai voulu faire de la conscience d’IsraĂ«l, d’examiner de prĂšs L’EcclĂ©siaste. Le problĂšme est en un sens plus facile. Car, si les obscuritĂ©s de dĂ©tail sont, dans L’EcclĂ©siaste, au moins aussi nombreuses que dans Job et Le Cantique, le caractĂšre gĂ©nĂ©ral et l’ñge relatif du livre prĂȘtent Ă  moins de doutes. L’ouvrage compte certainement entre les plus modernes de la littĂ©rature hĂ©braĂŻque. Quant au caractĂšre sceptique ou Ă©picurien de la composition, on peut incidenter sur le sens prĂ©cis de deux ou trois versets ; mais cela importe peu. Si l’auteur ne s’est pas tenu au scepticisme, il l’a traversĂ© et en a donnĂ© la plus complĂšte, la plus vive, la plus franche thĂ©orie. Or on ne se convertit guĂšre du scepticisme ; on s’y endurcit justement par les efforts qu’on fait pour en sortir. MĂȘme celui qui rĂ©ussit en apparence Ă  y Ă©chapper en garde une empreinte ineffaçable, comme un fond de fiĂšvre mal assoupie et toujours prĂȘte Ă  se rĂ©veiller. Le petit livre qui nous occupe porte en tĂȘte un mot bizarre de quatre lettres, QHLT, qui, pris en lui-mĂȘme, n’a pas d’explication satisfaisante. C’est le nom mĂȘme du personnage qui, dans tout le livre, tient la parole. Le livre, en effet, n'est pas autre chose qu’un discours, une sorte de confession, mĂȘlĂ©e de conseils, que l’auteur place dans la bouche d’un certain QHLT, qu’il suppose avoir Ă©tĂ© fils de David et roi de JĂ©rusalem[2]. On s’aperçoit bien vite que QHLT n’est qu’un mot de passe pour dĂ©signer Salomon. Il y a d’autres exemples de ces noms fictifs dans les livres sapientiaux[3] QHLT, fils de David, a Ă©tĂ© un roi puissant, bĂątisseur, jouisseur, livrĂ© aux femmes, au vin, Ă  la sagesse, savant paraboliste, curieux de toutes les choses de la nature. Ce sont lĂ  exactement les traits sous lesquels l’histoire et la lĂ©gende prĂ©sentent Salomon. Nul doute que l’auteur, qui sĂ»rement connaissait Les Proverbes attribuĂ©s aussi Ă  Salomon, n’ait voulu mettre en scĂšne le successeur de David. Ce roi cĂ©lĂšbre lui a paru un personnage commode pour l’objet qu’il se proposait, c’est-Ă -dire pour montrer la vanitĂ© de toute chose. Salomon, ayant vu le sommet de la gloire et de la prospĂ©ritĂ©, a Ă©tĂ© mieux placĂ© que personne pour dĂ©couvrir le creux absolu de tous les mobiles de la vie humaine et la complĂšte frivolitĂ© des opinions qui servent de base Ă  la sociĂ©tĂ©. L’auteur a-t-il voulu, comme tant d’autres, comme l’auteur alexandrin de La Sagesse, par exemple, attribuer un livre de plus Ă  Salomon ? L’EcclĂ©siaste est-il un apocryphe, un des Ă©crits de cette vaste littĂ©rature pseudĂ©pigraphe qui, de Judas MacchabĂ©e Ă  Barkokeba, n’a cessĂ© de se montrer fĂ©conde en productions variĂ©es ? Pas prĂ©cisĂ©ment. Quand un auteur juif des siĂšcles qui avoisinent notre Ăšre prenait, pour inculquer quelque forte pensĂ©e Ă  ses contemporains, le manteau d’un ancien prophĂšte ou d’un homme cĂ©lĂšbre, tel que Moise, HĂ©noch, Baruch, Esdras, il prĂ©tendait bel et bien faire admettre sa prose comme l’Ɠuvre de ces antiques personnages, et gĂ©nĂ©ralement on le croyait ; car aucune idĂ©e de critique littĂ©raire n’existait alors. Telle n’est pas tout Ă  fait l’intention de notre Ă©crivain. L’auteur d’apocryphes est toujours un fanatique qui met son amour-propre de cĂŽtĂ© pour l’intĂ©rĂȘt de sa cause. On voit clairement sa tendance et l’opinion pour laquelle il travaille. L’auteur de L’EcclĂ©siaste, au contraire, serait bien fĂąchĂ© qu’on le crĂ»t capable d’un prosĂ©lytisme quelconque. Quoiqu’il ne nous ait pas dit son nom, il est loin d’ĂȘtre dĂ©tachĂ© de toute prĂ©tention littĂ©raire ; parfois mĂȘme, il se coupe, et abandonne sa fiction d’une maniĂšre qui surprend. A la fin de l’ouvrage, aprĂšs les derniers mots qu’il met dans la bouche de Salomon, il parle en son nom personnel et se distingue nettement de Salomon. Les versets qui suivent ne font pas partie de l’ouvrage mais ils montrent bien que la composition, quand elle parut, ne trompa personne, qu’on la tint pour moderne, que le livre en un mot fut pris comme un de ces Ă©crits hagiographiques qui venaient chaque jour s’ajouter Ă  la Thora et aux anciens prophĂštes, Au lieu de desserrer le vieux volume pour y insĂ©rer le nouvel Ă©crit salomonien Ă  la suite des Proverbes, on mit le tard-venu Ă  la fin du recueil sacrĂ© oĂč, selon toutes les apparences, il garda longtemps la derniĂšre place. L’auteur n'est donc pas plus un faussaire que Platon ne l’est dans Le ParmĂ©nide ou dans Le TimĂ©e. Voulant nous donner un morceau de philosophie Ă©lĂ©ate, Platon choisit ParmĂ©nide ; voulant nous donner un morceau de philosophie pythagoricienne, il choisit TimĂ©e, et il leur met dans la bouche des discours conformes aux doctrines de leur Ă©cole. Ainsi fait notre auteur. Salomon n'est pour lui qu’un prĂȘte-nom pour des idĂ©es qu’il trouve appropriĂ©es au type lĂ©gendaire de l’ancien roi de JĂ©rusalem. Il y a plus ce parti pris de mettre ses pensĂ©es pessimistes et sceptiques sous le couvert de Salomon, il y tient fort peu. Il se trahit Ă  chaque instant. Le personnage qu’il fait parler s’explique d’abord, en effet, d’une maniĂšre qui convient bien au fils de David. Puis l’auteur laisse lĂ  une fiction qui l’eĂ»t entraĂźnĂ© Ă  des redites fatigantes et ennuyeuses. A partir du chapitre IV Ă  peu prĂšs, il oublie qu’il a mis en scĂšne Salomon ; il cesse de prendre sa fable au sĂ©rieux. C’est bien lui qui parle pour son propre compte quand il nous raconte les malheurs qu’il a eus avec les femmes, les tristesses de sa vie solitaire, les peines qu’il s’est donnĂ©es pour faire fortune, les prĂ©occupations qui l’obsĂšdent en ce qui touche ses hĂ©ritiers. InfidĂšle Ă  son propos, il s’exprime dĂ©sormais comme ce qu’il est, c’est-Ă -dire comme un homme d’affaire juif, trĂšs prĂ©occupĂ© de ses placements et de ce que deviendra sa fortune aprĂšs lui. Quelques dĂ©veloppements sont absolument dĂ©placĂ©s ou mĂȘme dĂ©nuĂ©s de sens dans la bouche d’un souverain. De telles libertĂ©s de composition sont frĂ©quentes aussi dans Le Livre de Job. Ces grandes et belles Ɠuvres antiques se mettent au-dessus de nos chĂ©tifs soucis classiques de vraisemblance. Les personnages sont mĂ©diocrement constants avec eux-mĂȘmes. La prĂ©occupation de la destinĂ©e humaine est si grande chez ces fortes Ăąmes que les mesquines attentions d’unitĂ© et de composition littĂ©raire sortent vite de leur esprit. Leur fiction n’est pour eux qu’un jeu, qu’un prĂ©texte. Au lieu de dĂ©signer Salomon par son nom, l’auteur, conformĂ©ment Ă  un certain goĂ»t du mystĂšre qu’affectent les Ă©crivains parabolistes, le dĂ©signe par les quatre lettres QHLT, qui sont restĂ©es jusqu’à prĂ©sent inintelligibles. Les voyelles manquent, selon l’usage ; mais il est probable que l’auteur a voulu qu’on lise QoHeLeT. Dans un passage du texte[4], la quiescente a Ă©tĂ© introduite entre les deux premiĂšres lettres. DĂšs le IIIe siĂšcle de notre Ăšre, au moins, les Grecs prononçaient KĂŽelĂ©th[5]. Les MassorĂštes ont donc suivi une tradition en ponctuant QoHeLeT, et le traducteur grec a lu Ă©videmment de la mĂȘme maniĂšre, quand il a traduit le mot par EkklĂšsiastĂš s, prĂ©dicateur ». QaHaL, en effet, est l’équivalent exact du grec Ă©kklĂšsia. On en a conclu que QoHeLeT voudrait dire un harangueur, Ă©kklĂšsiazĂŽn ; puis, par des raisonnements grammaticaux plus complaisants que solides, on croit pouvoir Ă©tablir que QoHeLeT, avec sa forme fĂ©minine, aurait le mĂȘme sens. KohĂ©let serait ainsi une sorte de nom symbolique de Salomon, considĂ©rĂ© en quelque sorte comme prĂ©dicateur et docteur des foules assemblĂ©es. Tout cela est bien peu naturel ; cela sent la mĂ©thode de cette vieille Ă©cole exĂ©gĂ©tique qui, du texte le plus indĂ©chiffrable, mĂȘme le plus corrompu, s’obligeait Ă  tirer un sens. Aucun livre n’a moins que le nĂŽtre l’accent d’une prĂ©dication morale. La forme fĂ©minine est, quoi qu’on en dise, une forte objection. Toutes les explications qu’on a essayĂ©es du mot QoHeLeT vont se heurter contre de vraies impossibilitĂ©s. On est donc excusable de chercher d’un autre cĂŽtĂ© des solutions plus conformes au vĂ©ritable esprit philologique, au risque de ne pas arriver Ă  se satisfaire entiĂšrement. Les HĂ©breux, depuis une Ă©poque fort reculĂ©e, eurent l’habitude de jouer sur les noms propres et d’appliquer de bizarres combinaisons, dont les principales sont l’albam et l’atbasch. Toutes deux consistent Ă  diviser les vingt-deux lettres en deux registres, qu’on fait coĂŻncider, ou en les juxtaposant, ou en les rabattant l’un sur l’autre comme au moyen d’une charniĂšre. Dans le premier systĂšme, la premiĂšre lettre {l’aleph s’échange contre la douziĂšme le lamed, la deuxiĂšme lettre le bet s’échange contre la treiziĂšme le mem. Dans le second systĂšme, la premiĂšre lettre l’aleph s’échange contre la derniĂšre le tav, la seconde lettre le bei s’échange contre la pĂ©nultiĂšme le schin, et ainsi de suite. On a dĂ©jĂ  des exemples de ces jeux de lettres dans JĂ©rĂ©mie, c’est-Ă -dire environ six cents ans avant JĂ©sus-Christ. Ainsi, par le procĂ©dĂ© de l’atbasch, le nom de Babel BBL devient SSK, le nom de Casdim KSDIM devient LBQMI JĂ©r., xxv, 26 ; Li, 1, 41[6]. Poussant le jeu plus loin encore, on mettait des voyelles aux lettres ainsi groupĂ©es ; on lisait SĂ©saq, Leb qamai, et on cherchait un sens aux syllabes ainsi obtenues par le hasard, absolument comme si, en français, on formait avec les lettres si connues S. G. D. G. un mot sagidog ou sugidag, dont on donnerait l’explication par les rĂšgles ordinaires de l’étymologie. Le nom de QHLT ayant juste quatre lettres comme SLMH, nom de Salomon en hĂ©breu, l’idĂ©e que QHLT n’est qu’une transformation de SLMH par un procĂ©dĂ© analogue Ă  l’albam ou Ă  l’atbasch vient d’elle-mĂȘme Ă  l’esprit. Malheureusement on n’obtient rien par cette voie ; les quatre lettres des deux sĂ©ries n’offrent aucun parallĂ©lisme, et diverses remarques qui s’offrent d’elles-mĂȘmes Ă  l’observateur mĂȘme superficiel dĂ©couragent tout Ă  fait de chercher de ce cĂŽtĂ© le mot de l’énigme. Une autre source de mots artificiels en hĂ©breu est l’habitude de former des mots avec les initiales d’autres mots. Ainsi, au moyen Ăąge, Maimonide Rabbi MosĂ© Ben Maimon s’appelle Rambam ; le cĂ©lĂšbre rabbin de Troyes, Rabbi Schelomo Ishaki, s’appelle Raschi. Dans la Bible, on peut supposer que le mot inexplicable sĂ©la, qui est caractĂ©ristique du livre des Psaumes et que les traducteurs grecs rendent par diopsalma, vient d’un procĂ©dĂ© analogue. Le mot de QHLT a-t-il Ă©tĂ© formĂ© de la sorte ? Il est impossible de le dire. Ces sortes de sigles, en effet, sont indĂ©chiffrables, quand on n’en possĂšde pas l’explication. C’est un problĂšme indĂ©terminĂ©, susceptible d’un nombre de solutions presque infini. Si, dans deux mille ans, des textes n'apprennent pas le sens de S. G. D. G., on ne devinera jamais que cela veut dire Sans garantie du gouvernement. » Le Liban offre de ceci un curieux exemple. Toutes les faces de rochers un peu planes de la rĂ©gion du haut Liban portent la formule AGIVCP, rĂ©pĂ©tĂ©e des centaines de fois. Dans trois ou quatre endroits, j’ai trouvĂ© la leçon complĂšte ARBORVM GENERA IV CETERA PRIVATA[7] d’oĂč il rĂ©sulte qu’il s’agit lĂ  de coupes d’arbres et des essences rĂ©servĂ©es Ă  la flotte. Certainement, sans la dĂ©couverte de la leçon complĂšte, on n’eĂ»t jamais soupçonnĂ© une chose aussi particuliĂšre. Nous inclinons donc Ă  croire que les quatre lettres QHLT ne formĂšrent pas Ă  l’origine un mot vĂ©ritable. Mais, le mot une fois formĂ©, l’auteur l’a considĂ©rĂ© comme une dĂ©signation substantive, puisque, dans deux cas, le groupe QHLT est prĂ©cĂ©dĂ© de l’article. La poĂ©sie parabolique aimait ces Ă©nigmes. Les deux petits poĂšmes moraux intercalĂ©s dans le livre des Proverbes ch. XXX et XXXI commencent Ă©galement par des noms propres qui sont restĂ©s jusqu’à prĂ©sent des logogriphes indĂ©chiffrĂ©s. L’EcclĂ©siaste passait autrefois pour le livre le plus obscur de la Bible. C’est lĂ  une opinion de thĂ©ologiens, tout Ă  fait fausse en rĂ©alitĂ©. Le livre, dans son ensemble, est trĂšs clair ; seulement les thĂ©ologiens avaient un intĂ©rĂȘt majeur Ă  le trouver obscur. Une foule de passages nous embarrassent, parce que le texte est corrompu et que la langue forme, dans l’ensemble de la littĂ©rature hĂ©braĂŻque, une sorte d’ülot Ă  part. Mais ces difficultĂ©s atteignent seulement les accessoires et les digressions, dont souvent on ne voit pas le lien avec le sujet principal. Joignons-y des allusions Ă  des Ă©vĂ©nements politiques et Ă  des sectes religieuses que nous ne connaissons pas. Quant Ă  la philosophie gĂ©nĂ©rale de l’ouvrage, elle est trĂšs simple. L’auteur revient sur sa pensĂ©e avec une insistance qui peut sembler fastidieuse, mais qui ne laisse rien Ă  dĂ©sirer sous le rapport de la nettetĂ©. Tout est vanitĂ©. » Tel est le rĂ©sumĂ©, vingt fois rĂ©pĂ©tĂ©, de l’ouvrage. Le livre se compose d’une suite de petits paragraphes, dont chacun contient une observation, une façon d’envisager la vie humaine, dont la conclusion est l’universelle frivolitĂ©. Cette conclusion, l’auteur la tire des expĂ©riences les plus diverses. Il s’y complaĂźt ; il en fait le rythme et le refrain de sa pensĂ©e. Le monde prĂ©sente Ă  ses yeux une sĂ©rie de phĂ©nomĂšnes, toujours les mĂȘmes et roulant les uns aprĂšs les autres dans une sorte de cercle. Nul progrĂšs. Le passĂ© a ressemblĂ© au prĂ©sent ; le prĂ©sent ressemble Ă  ce que sera l’avenir. Le prĂ©sent est mauvais, le passĂ© ne valait pas mieux, l’avenir ne sera pas prĂ©fĂ©rable. Toute tentative pour amĂ©liorer les choses humaines est chimĂ©rique, l’homme Ă©tant incurablement bornĂ© dans ses facultĂ©s et sa destinĂ©e. L’abus est Ă©ternel ; le mal qu’on avait cru supprimĂ© reparaĂźt sur-le-champ, plus envenimĂ© qu’avant sa suppression. L’auteur nous assure avoir fait l’expĂ©rience de toutes les occupations de la vie, et prĂ©tend les avoir trouvĂ©es vaines. Le plaisir, le pouvoir, le luxe, les femmes, ne laissent que regrets aprĂšs eux. La science ne sert qu’à fatiguer l’esprit ; l’homme ne sait rien et ne saura jamais rien. La femme est un ĂȘtre absurde, un mauvais gĂ©nie. La consĂ©quence serait de rester cĂ©libataire. L’auteur y a bien pensĂ©, mais quoi !... Le cĂ©libataire est un niais, puisqu’il thĂ©saurise pour des hĂ©ritiers qu’il ne connaĂźt pas, et qui ne tiendront pas de lui le moindre compte. L’auteur se rabat alors sur l'amitiĂ© ; lĂ , du moins, il paraĂźt avoir Ă©prouvĂ© quelque douceur. Mais comment trouver la paix dans un monde oĂč la loi morale commande le bien et oĂč tout semble fait exprĂšs pour encourager le mal ? Le crime est une folie sans doute ; mais la sagesse et la piĂ©tĂ© ne sont nullement rĂ©compensĂ©es. Tel scĂ©lĂ©rat est honorĂ© comme devrait l’ĂȘtre l’homme vertueux. Tel homme vertueux est accablĂ© d’infortunes comme devrait l’ĂȘtre le scĂ©lĂ©rat. La sociĂ©tĂ© est mal faite ; les hommes ne sont pas Ă  leur place ; les rois sont Ă©goĂŻstes et mĂ©chants ; les juges, pervers ; les peuples, ingrats et oublieux. Quelle est donc la vraie sagesse pratique ? Jouir doucement de la fortune qu’on a acquise par son travail ; vivre heureux avec la femme qu’on a aimĂ©e jeune ; Ă©viter les excĂšs de toute sorte ; ne pas ĂȘtre trop sage ni s’imaginer qu’en s’extĂ©nuant d’efforts on triomphera de la destinĂ©e ; ne pas non plus s’abandonner Ă  la folie, car elle est presque toujours punie ; ne pas ĂȘtre trop riche la grande richesse ne donne que souci ; ne pas ĂȘtre pauvre, car le pauvre est mĂ©prisĂ© ; accepter les prĂ©jugĂ©s du monde tels qu’ils existent, sans les combattre et sans chercher Ă  les rĂ©former ; en tout, pratiquer une philosophie modĂ©rĂ©e et de juste milieu, sans zĂšle, sans mysticisme. Un galant homme, exempt de prĂ©jugĂ©s, bon et gĂ©nĂ©reux au fond, mais dĂ©couragĂ© par la bassesse du temps et les tristes conditions de la vie humaine, voilĂ  notre auteur. Il serait hĂ©ros volontiers ; mais, vraiment, Dieu rĂ©compense si peu l’hĂ©roĂŻsme, que l’on se demande si ce n’est pas aller contre ses intentions que de prendre les choses par ce biais. Une telle doctrine, chez un Grec et chez nous, passerait pour l'impiĂ©tĂ© mĂȘme, et serait intimement associĂ©e Ă  la nĂ©gation de la DivinitĂ©. Il n’en est rien chez notre auteur. Cette doctrine est celle d'un juif consĂ©quent. L’auteur est loin d’ĂȘtre un des insensĂ©s qui disent Dieu n’est pas. » On peut le trouver sceptique, matĂ©rialiste, fataliste, pessimiste surtout ; ce que sĂ»rement il n’est pas, c’est athĂ©e. Nier Dieu, pour lui, ce serait nier le monde, ce serait la folie mĂȘme. S’il pĂšche, c’est parce qu’il fait Dieu trop grand et l’homme trop petit. Dieu a créé le monde pour montrer sa puissance ; il crĂ©e perpĂ©tuellement toute vie ; les fins qu’il s’est proposĂ©es dans la crĂ©ation de l’univers et de l’homme sont impĂ©nĂ©trables. Mais comment ne pas s’incliner devant un ĂȘtre si puissant ? S’il donne la vie Ă  l’homme, il la lui ĂŽte aussi. Il punit quelquefois, et il est des mauvaises actions dont la simple prudence ordonne de s’abstenir. La punition d’ailleurs, en certains cas, est une sorte de loi naturelle. Les plaisirs de la jeunesse, par exemple, on les expie plus tard par des infirmitĂ©s ; ce qui n’est pas cependant une raison pour se les interdire tout Ă  fait. Dieu juge l’homme, mais d’aprĂšs des principes peu saisissables. Dans la plupart des cas, il est impossible de discerner son action et de voir sa main. En somme, Dieu s’intĂ©resse peu Ă  l’homme, puisqu’il l’a mis dans la situation la plus fausse, en lui donnant les prĂ©occupations de la sagesse avec une destinĂ©e finie, la mĂȘme pour le fou et pour le sage, pour l’homme et pour l’animal, et cela dans une sociĂ©tĂ© oĂč les choses sont au rebours de la justice et de la raison. Il faut donc, avec tout le monde, aller au temple et pratiquer le culte Ă©tabli ; mais ici, comme en toute chose, il faut Ă©viter l’excĂšs. On importune Dieu par des vƓux trop rĂ©pĂ©tĂ©s ; on donne aux prĂȘtres des droits sur soi ; craindre Dieu, voilĂ  le culte vĂ©ritable. Les dĂ©vots sont les plus insupportables des sots. L’impie est un fou ; il brave Dieu, il s’expose au danger le plus terrible ; mais le piĂ©tiste est un nigaud, qui assomme Dieu par ses priĂšres et lui dĂ©plaĂźt en croyant l’honorer[8]. Il est clair que les impĂ©nĂ©trables obscuritĂ©s dont le gouvernement du monde est entourĂ© aux yeux de notre auteur seraient dissipĂ©es, si CohĂ©let avait la moindre notion d’une vie Ă  venir. A cet Ă©gard, ses idĂ©es sont celles de tous les juifs Ă©clairĂ©s. La mort termine la vie consciente pour l’individu. La pĂąle et morne existence des refaĂŻm qui prĂ©occupait les gens crĂ©dules, surtout les superstitieux ChananĂ©ens, n’a aucune signification morale. On ne sent pas dans le scheol. La mort de l’homme et celle de l’animal sont une seule et mĂȘme chose. La vie, chez l’homme et chez l’animal, vient du souffle de Dieu, qui soulĂšve et pĂ©nĂštre la matiĂšre par des voies mystĂ©rieuses. Il n’y a qu’un seul souffle en toute chose. » A la mort, le souffle divin se sĂ©pare de la matiĂšre ; le corps revient Ă  la terre, d’oĂč il a Ă©tĂ© pris, et l’esprit remonte Ă  Dieu, d’oĂč il Ă©tait Ă©manĂ©. Pendant quelque temps, il reste un souvenir qui continue l'existence de l’homme parmi ses semblables ; puis ce souvenir disparaĂźt, et alors c’est fini. Beaucoup de juifs, pour Ă©chapper Ă  ce qu’une aussi courte destinĂ©e a d’attristant, disaient que l’homme se survit dans ses enfants ; Ă  dĂ©faut d’enfants, on consolait l’eunuque en lui promettant un cippe funĂšbre[9] qui perpĂ©tuerait sa mĂ©moire dans sa tribu. CohĂ©let est peu sensible Ă  ces consolations enfantines. L’homme une fois mort, sa mĂ©moire disparaĂźt, et c’est comme s’il n’avait jamais Ă©tĂ©. Certes, nous Ă©tonnerions fort le charmant Ă©crivain qui nous a laissĂ© cette dĂ©licieuse fantaisie philosophique, si nous cherchions Ă  construire avec son Ă©crit un symbole de foi bien arrĂȘtĂ©. Il est encore un mal, nous dirait-il, que j’ai vu sous le soleil, et qui est peut-ĂȘtre le plus grand de tous, c’est la prĂ©somption de l’esprit, qui veut expliquer l’univers en quatre paroles, enfermer le bleu du ciel dans un lĂ©cythe, faire tenir l’infini dans un cadre de trois doigts. Malheur Ă  qui ne se contredit pas au moins une fois par jour ! » On ne fut jamais plus Ă©loignĂ© du pĂ©dantisme que l’auteur de l’EcclĂ©siaste. La vue claire d’une vĂ©ritĂ© ne l’empĂȘche pas de voir, tout de suite aprĂšs, la vĂ©ritĂ© contraire, avec la mĂȘme clartĂ©. Le relĂąchement absolu des mobiles de la vie n’empĂȘche pas chez lui un goĂ»t vif des plaisirs de la vie. DouĂ© d’un profond sentiment de justice, il se rĂ©volte contre ce que la destinĂ©e humaine a d’absurde aux yeux de la morale. Mais qu’y faire ? Le monde a de bonnes heures. Pourquoi ne pas les cueillir, tout en sachant bien que l’on paiera plus tard la joie qu’on a goĂ»tĂ©e. Amuse-toi, jeune homme ; mais ne t’y trompe pas ; il n’est pas un de tes plaisirs que tu ne doives expier un jour par autant de regrets. La vie la plus heureuse a comme revers les annĂ©es de la vieillesse, oĂč l’homme voit finir peu Ă  peu tous ses rapports avec le monde et se clore tous ses moyens de jouir. ArrivĂ© ainsi au comble de la tristesse, l’auteur, par un des tours de force les plus originaux qu’il y ait dans aucune littĂ©rature, entame cette description de la vieillesse, pleine d’énigmes et d’allusions, qui ressemble aux Ă©blouissantes passes d’un prestidigitateur jonglant avec des tĂȘtes de mort. Étonnant artiste, il maintient jusqu’au bout sa gageure, effleurant avec l’adresse de l’équilibriste les cimes des mots et des idĂ©es, faisant grincer de son archet les fibres qu’il a cruellement excitĂ©es, Ă©largissant Ă  plaisir les blessures qu’il s’est portĂ©es, irritant avec dĂ©lices les lĂšvres de sa plaie. Et, avec cela, nous l’aimons, car il a vraiment touchĂ© toutes nos douleurs. Il y a bien peu de choses qu’il n’ait vues. Certes il est heureux qu’à cĂŽtĂ© de lui il y ait eu ZĂ©non et ÉpictĂšte. Mais aucun Grec mieux que ce sadducĂ©en ne comprit l’étrangetĂ© de notre sort. L’auteur de l’EcclĂ©siaste, c’est l’auteur du Livre de Job, ayant vĂ©cu six ou sept cents ans de plus. La plainte Ă©loquente et terrible de l’antique livre hĂ©breu, les objurgations presque blasphĂ©matoires du vieux patriarche sont devenues le badinage tristement rĂ©signĂ© d’un lettrĂ© mondain. Bien plus religieux au fond, l'auteur de Job est autrement hardi dans son langage. Cohelet n'a plus mĂȘme la force de s’indigner contre Dieu. C’est si inutile ! Comme Job, il s’incline devant une puissance inconnue, dont les actes ne relĂšvent d’aucune raison apprĂ©ciable. Mais il se console, et, si les femmes Ă©taient un peu moins trompeuses, les juges un peu moins corrompus, les hĂ©ritiers un peu moins ingrats, les gouvernants un peu plus sĂ©rieux, il se rĂ©concilierait avec la vie et consentirait Ă  trouver qu’il est fort doux, mĂȘme au prix de la perspective d’une vieillesse maussade, de jouir tranquillement, avec une femme aimĂ©e, de la fortune qu’on a su amasser par son intelligence. L’auteur dit trop de mal des femmes pour ne les avoir pas beaucoup aimĂ©es. A la façon dont il en parle, on sent qu’il ne faudrait pas grand-chose pour qu’il recommençùt Ă  les aimer. Il n’est pas si dĂ©goĂ»tĂ© de la vie qu’il n'ait de bons conseils pratiques Ă  donner, sur la maniĂšre de se bien tenir Ă  la cour, sur les prĂ©cautions Ă  prendre avec les prĂȘtres, sur le bon emploi de ses fonds et sur la maniĂšre de distribuer ses placements de maniĂšre Ă  ne pas tout perdre Ă  la fois. Cette philosophie, singuliĂšrement fatiguĂ©e, n’était pas neuve en IsraĂ«l c’était celle de tous les gens calmes et sensĂ©s, qui n’étaient ni prophĂštes, ni zĂ©lotes, ni sectateurs plus ou moins fanatiques d’un royaume de Dieu. Le peuple juif est Ă  la fois le peuple le plus religieux et celui qui a eu la religion la plus simple. C’est le peuple de Dieu, et ce n’est pas tout Ă  fait sans raison que l’antiquitĂ© l’appela le peuple athĂ©e[10]. L’EcclĂ©siaste ne nous montre aucun pouvoir dogmatique Ă©tabli, aucun catĂ©chisme religieux, pas de prĂȘtres enseignants, nulle idĂ©e de prophĂštes. Craindre, c’est-Ă -dire respecter Dieu, voilĂ  tout ; le reste n’est qu’erreur d’esprits Ă©troits, mĂ©connaissance des rapports de l’homme avec l’Éternel. C’est la gloire du peuple d’IsraĂ«l d’avoir le premier aperçu la vanitĂ© de la superstition et des chimĂšres religieuses. DĂšs une Ă©poque qu’on ne peut calculer, l’ancĂȘtre des IsraĂ©lites a vu la folie de l’idolĂątrie, des divinitĂ©s locales et multiples, des grandes imaginations sur la vie d’outre-tombe. Quand un IsraĂ©lite parcourait l’Égypte, visitait les syringes de ThĂšbes, les memnonia, les hypogĂ©es du SĂ©rapeum, ces maisons des morts si supĂ©rieures Ă  celles des vivants, le sentiment qu’il Ă©prouvait Ă©tait celui de la pitiĂ© qu’inspire la vue de l’absurde. Dieu lui apparaissait alors grand, unique, se riant des hommes et de leurs folies. La premiĂšre de ces folies Ă©tait Ă  ses yeux la prĂ©tention Ă  l’immortalitĂ©. Dieu seul dure[11] », telle a toujours Ă©tĂ© la base fondamentale de la thĂ©ologie sĂ©mitique, monothĂ©iste. L’homme est un ĂȘtre passager, et le pire acte d’orgueil de sa part serait de s’égaler Ă  Dieu, en s’attribuant l’éternitĂ©. Le Pharaon qui se bĂątit des pyramides en vue d’une existence indĂ©finie, loin d’ĂȘtre considĂ©rĂ© par le sage IsraĂ©lite comme un homme religieux, lui faisait l’effet d’un impie. La croyance Ă  l’immortalitĂ©, loin de lui sembler pieuse, lui paraissait une injure Ă  Dieu et au bon sens. Le peuple, comme tous les ĂȘtres instinctifs de tous les temps, croyait aux refaĂŻm, aux revenants ; il y avait des sorciers et des sorciĂšres qui prĂ©tendaient Ă©voquer les ombres et les faire parler. Si les sages d’IsraĂ«l eussent laissĂ© faire le peuple, celui-ci, avec le scheol et les refaĂŻm, se fĂ»t créé un enfer et une mythologie comme tous les autres peuples. Mais les sages furent assez forts pour Ă©touffer ces rĂȘves en leur germe. Dans le scheol, on ne sent rien, on ne sait rien, on ne voit rien. Les refaĂŻm sont un nĂ©ant ; ils ne louent pas Dieu. Une fois que le souffle de la vie est remontĂ© Ă  Dieu qui l’avait donnĂ©, le corps se dĂ©compose et revient Ă  la terre[12] » C’est ici le point de vue oĂč il faut se placer pour bien apercevoir l’opposition profonde du systĂšme aryen et du systĂšme sĂ©mitique, ainsi que le secret de la divergence absolue de ces deux grandes races en fait de religion. Dans le systĂšme aryen, les pitris, les ancĂȘtres, sont des dieux ; ils sont immortels ; ils existent par eux-mĂȘmes Ă  la face des autres dieux. Dans le systĂšme sĂ©mitique, une telle conception est l’impiĂ©tĂ© par excellence. Un seul ĂȘtre existe Ă©ternellement c’est Dieu. L'homme est une crĂ©ature essentiellement mortelle. Supposer que quelqu'un est Ă©ternel devant Dieu, c’est diminuer Dieu, c'est placer hors de lui des ĂȘtres indĂ©pendants de lui. Jusque-lĂ , le systĂšme est vrai et logique. Le point oĂč le SĂ©mite s’engage dans d’insolubles difficultĂ©s, c’est quand il affirme, non seulement que Dieu est grand, mais qu’en mĂȘme temps il est juste, qu’il commande le bien et dĂ©fend le mal, rĂ©compense le bien, punit le mal. Ici commençaient les objections sans issue. Le juste Ă©tant le favori de Dieu, l’homme injuste Ă©tant l’objet de sa haine et de son dĂ©goĂ»t, comment se fait-il que souvent le juste soit malheureux, persĂ©cutĂ© ? Comment se fait-il que le mĂ©chant prospĂšre et soit, aprĂšs sa mort, conduit au tombeau avec toutes les marques de l’honorabilitĂ© ? VoilĂ  le problĂšme qui, depuis mille ans peut-ĂȘtre avant JĂ©sus-Christ jusqu’en plein moyen Ăąge, n’a jamais cessĂ© de troubler IsraĂ«l. Et certes il y avait de quoi. L’antinomie que les sages d’IsraĂ«l cherchent Ă  dissimuler le plus qu’ils peuvent est de celles qui crĂšvent les yeux. La nature est l’injustice mĂȘme ; la sociĂ©tĂ©, reflet de la nature, est, malgrĂ© les trĂšs petites rĂ©parations exercĂ©es par le sentiment de droiture qui est en l'homme, un tissu d’erreurs et de violations de la justice. S’il n’y a pas une autre vie pour rĂ©parer les iniquitĂ©s de celle-ci, soutenir que Dieu est juste et ami du bien est le plus puĂ©ril des paradoxes ou la plus niaise des contrevĂ©ritĂ©s. VoilĂ  l'idĂ©e mĂšre, on peut le dire, de tout le mouvement hĂ©braĂŻque, la cause inspiratrice de toutes les rĂ©volutions qui se sont produites dans le sein du peuple d’IsraĂ«l. Les sages de la vieille Ă©cole soutenaient avec une imperturbable naĂŻvetĂ© que la vertu est toujours ici-bas rĂ©compensĂ©e et le vice puni. L’adversitĂ© qui frappe l’homme de bien n’est qu’une Ă©preuve passagĂšre. Telle est la thĂ©orie qui fait le fond du Livre de Job, des Proverbes, de beaucoup de psaumes, de la Sagesse de JĂ©sus fils de Sirach, du Livre d’Esther, de Judith, de Tobie, etc. Les prophĂštes et certains psalmistes n’ont pas une sagesse tout Ă  fait aussi calme. L’auteur du psaume LXXIII Vulg. LXXII, verset 3 Ă©prouve des mouvements de jalousie fĂ©roce en voyant la paix des pĂ©cheurs ». Ces pieux zĂ©lotes sont pris d’accĂšs de rage Ă  la vue des choses humaines. La prospĂ©ritĂ© des mĂ©chants les irrite et les porte Ă  des appels dĂ©sespĂ©rĂ©s. Dieu sommeille ; mais Dieu aura son jour, ses grandes assises en quelque sorte, oĂč il redressera le monde et mettra tout dans le droit chemin. Le jour de JĂ©hovah » devient ainsi le point de mire de la conscience froissĂ©e d’IsraĂ«l. Le monde actuel est l’injustice mĂȘme ; mais la justice existera un jour. Il y aura un rĂšgne de Dieu, qui sera le rĂšgne des saints, le rĂšgne de l'idĂ©al juif sur un monde renouvelĂ©. La crise extraordinaire du temps des MacchabĂ©es vint donner Ă  cette conviction les formes messianiques et apocalyptiques. La rĂ©surrection Ă©tait devenue nĂ©cessaire. Ces martyrs qui souffrent la mort la plus cruelle pour rester fidĂšles Ă  la Thora, comment soutenir qu’ils ont leur rĂ©munĂ©ration ici-bas ? Une rĂ©compense spĂ©ciale est conçue pour les martyrs. Pendant mille ans, ils rĂ©gneront avec le Messie dans une JĂ©rusalem d’or et de pierreries, devenue le centre du monde. Les tristesses que devraient amener chez ces Ă©lus l’approche de l’an 999 ne viennent jamais Ă  l’esprit des faiseurs d’apocalypses. L’idĂ©e d’une destinĂ©e infinie pour l’homme n’entre guĂšre dans une tĂȘte juive. Mille ans, c’est bien long. Franchement, les martyrs, au bout de ce temps, devront ĂȘtre rassasiĂ©s de jours ». Le christianisme fut la consĂ©quence de cette exaltation extrĂȘme, qui, depuis les temps d’Antiochus Épiphane, bouillonnait en quelque sorte dans la conscience d’IsraĂ«l. L’espĂ©rance chrĂ©tienne n’est d’abord que le rĂšgne de mille ans. Un siĂšcle aprĂšs JĂ©sus, les chrĂ©tiens les plus orthodoxes dĂ©clarent encore que leur conviction est que le rĂšgne de la justice se rĂ©alisera sur la terre[13] ». Mais le christianisme, nĂ© au sein d’IsraĂ«l, se dĂ©veloppe hors d’IsraĂ«l, De plus en plus, les docteurs chrĂ©tiens placent le royaume de Dieu dans l’idĂ©al. Avec la philosophie grecque, d’ailleurs, le dogme de l’immortalitĂ© de l’ñme s’introduit dans l’Église et s’associe tant bien que mal Ă  celui de la rĂ©surrection des corps. La solution du problĂšme juif est trouvĂ©e. La rĂ©paration des injustices de ce monde se fait dans un autre. L’explication des bizarreries apparentes du gouvernement de la Providence est simple comme le jour. Dieu laisse en ce monde une part de mal pour exercer les justes ; mais ce monde n’est rien ; le chrĂ©tien n’existe qu'en vue du royaume Ă  venir. Au lieu de la colĂšre ardente que les iniquitĂ©s du monde inspirent au vrai prophĂšte juif, le chrĂ©tien n’éprouve qu’une rĂ©signation Ă  peine mĂ©ritoire. Il a pour lui l’éternitĂ©[14]. Cette solution, qui ne triompha qu’en rompant avec les principes les plus arrĂȘtĂ©s du judaĂŻsme, n’entraĂźna nullement la masse d’IsraĂ«l. Les grands rĂ©voltĂ©s de l’an 70, les Ă©nergumĂšnes du temps d’Adrien, l’auteur du Livre de Judith, celui du Livre de Tobie, sont fidĂšles Ă  l’ancienne philosophie. Dans le Talmud, le problĂšme reste en suspens. Beaucoup de docteurs talmudiques croient au royaume de Dieu et Ă  la rĂ©surrection comme des chrĂ©tiens ; la plupart ne sortent pas de l’ancien systĂšme. Ces martyrs du moyen Ăąge que le fanatisme chrĂ©tien empile sur les bĂ»chers ne croient pas tous Ă  l’immortalitĂ© de l’ñme. Tel saint de Mayence, en allant au supplice, invente Ă  sa charge tous les crimes imaginables et s’en accuse pour justifier la Providence, pour maintenir ce principe fondamental que Dieu ne saurait finalement abandonner son serviteur. Jusqu’à nos jours, cette pĂ©nombre fait la force des grandes Ăąmes IsraĂ©lites. Le juif n’est pas rĂ©signĂ© comme le chrĂ©tien. Pour le chrĂ©tien, la pauvretĂ©, l’humilitĂ© sont des vertus ; pour le juif, ce sont des malheurs, dont il faut se dĂ©fendre. Les abus, les violences, qui trouvent le chrĂ©tien calme, rĂ©voltent le juif, et c’est ainsi que l’élĂ©ment israĂ©lite est devenu, de notre temps, dans tous les pays qui le possĂšdent, un grand Ă©lĂ©ment de rĂ©forme et de progrĂšs. Le saint-simonisme et le mysticisme industriel et financier de nos jours sont sortis pour une moitiĂ© du judaĂŻsme. Dans les mouvements rĂ©volutionnaires français, l’élĂ©ment juif a un rĂŽle capital. C’est ici-bas qu’il fait rĂ©aliser le plus de justice possible. La tikva juive, la confiance », cette assurance que la destinĂ©e de l’homme ne saurait ĂȘtre frivole et qu’un brillant avenir de lumiĂšre attend l’humanitĂ©, n'est pas l’espĂ©rance ascĂ©tique d’un paradis contraire Ă  la nature de l’homme ; c’est l’optimisme philosophique, fondĂ© sur un acte de foi invincible dans la rĂ©alitĂ© du bien. CohĂ©let a sa place dĂ©finie dans cette histoire du long combat de la conscience juive contre l'iniquitĂ© du monde. Il reprĂ©sente une pause dans la lutte. Chez lui, pas une trace de messianisme ni de rĂ©surrection, ni de fanatisme religieux, ni de patriotisme, ni d’estime particuliĂšre pour sa race. Il n’y a rien aprĂšs la mort. Le jour de JĂ©hovah ne vient jamais ; Dieu est au ciel ; il ne rĂ©gnera jamais sur la terre. CohĂ©let voit l’inutilitĂ© des tentatives pour concilier la justice de Dieu avec le train du monde. Il en prend son parti. Une fois que l'homme a rempli ses devoirs Ă©lĂ©mentaires envers son crĂ©ateur, il n’a plus qu’à vivre en paix, jouissant Ă  son aise de la fortune qu’il a honnĂȘtement acquise, attendant tranquillement la vieillesse, la dĂ©crivant en jolies phrases. Le tempĂ©rament fin et voluptueux de l’auteur montre qu’il avait pour se consoler de sa philosophie pessimiste plus d’une douceur intĂ©rieure. Comme tous les pessimistes de talent, il aime la vie ; l’idĂ©e du suicide, qui traverse un moment l’esprit de Job[15] Ă  la vue des abus du monde, ne lui vient pas un moment Ă  la pensĂ©e. VoilĂ  l’intĂ©rĂȘt capital du livre CohĂ©let. Seul, absolument seul, il nous reprĂ©sente une situation intellectuelle et morale qui dut ĂȘtre celle d’un grand nombre de Juifs. L’incrĂ©dule Ă©crit peu, et ses Ă©crits ont beaucoup de chances de se perdre. La destinĂ©e du peuple juif ayant Ă©tĂ© toute religieuse, la partie profane de sa littĂ©rature a dĂ» ĂȘtre sacrifiĂ©e. Le Cantique et le CohĂ©let sont comme une chanson d’amour et un petit Ă©crit de Voltaire Ă©garĂ©s parmi les in-folio d’une bibliothĂšque de thĂ©ologie. C’est lĂ  ce qui fait leur prix. Oui, l’histoire d’IsraĂ«l manquerait d’une de ses principales lumiĂšres si nous n’avions quelques feuillets pour nous exprimer l’état d’ñme d’un IsraĂ©lite rĂ©signĂ© au sort moyen de l’humanitĂ©, s’interdisant l’exaltation et l’espĂ©rance, traitant de fous les prophĂštes, s’il y en avait de son temps, d’un IsraĂ©lite sans utopie sociale ni rĂȘve d’avenir. VoilĂ  une haute raretĂ©. Les dix ou douze pages de ce petit livre sont, dans le volume sombre et toujours tendu qui a fait le nerf moral de l’humanitĂ©, les seules pages de sang-froid. L’auteur est un homme du monde, non un homme pieux ou un docteur. On dirait qu’il ne connaĂźt pas la Thora ; s’il a lu les prophĂštes, ces furieux tribuns de la justice, il s’est bien peu assimilĂ© leur esprit, leur fougueuse ardeur contre le mal, leur inquiĂšte jalousie de l’honneur de Dieu. Une pensĂ©e rĂ©sume l’histoire des prophĂštes hĂ©breux pendant mille ans Le jour viendra oĂč la justice et le bonheur habiteront sur la terre. » CohĂ©let n’est pas du tout un membre de cette famille d’exaltĂ©s. Dans la grande chaĂźne d’IsaĂŻe Ă  JĂ©sus, il n’y a pas de place pour lui. La terre lui paraĂźt vouĂ©e aux abus, et il met une sorte d’obstination Ă  soutenir que le monde ne sera jamais meilleur qu’il n’est. Au fond, la position de notre sage fut-elle de son temps aussi isolĂ©e qu’au premier abord elle paraĂźt l’ĂȘtre dans l’histoire de la littĂ©rature ? Il faudrait se garder de le croire. Quoique reprĂ©sentĂ©e par moins d’écrits que l’école prophĂ©tique et messianique, l’école de sages fondĂ©e sur la nĂ©gation de l’autre vie et la poursuite exclusive d’une philosophie pratique menant Ă  la fortune et aux succĂšs, cette Ă©cole, dis-je, avait toujours Ă©tĂ© nombreuse en IsraĂ«l. Le Livre des Proverbes, antĂ©rieur Ă  la captivitĂ©, est au fond aussi profane que le CohĂ©let. Tout s’y rĂ©duit Ă  une prudence mondaine, tirĂ©e de l’expĂ©rience temporelle de la vie ; la religion n’y a de place que comme une part de l’esprit de conduite et de la tenue d’un galant homme. La Sagesse de JĂ©sus fils de Sirach, qui fut composĂ©e en hĂ©breu vers l’an 180 avant JĂ©sus-Christ, quelques annĂ©es, par consĂ©quent, avant la crise des MacchabĂ©es, ne sort en rien du cadre de l'ancienne philosophie. Comme CohĂ©let, le fils de Sirach place la vertu dans un certain juste milieu et dans la sagesse qui fait rĂ©ussir. Mais le fils de Sirach est bien plus pieux que l’auteur du CohĂ©let[16]. C’est un mosaĂŻste fervent. Les peines qu’il se donne pour excuser Dieu des Ă©trangetĂ©s qui se passent sous son gouvernement ont quelque chose de touchant. S'il n’a aucune idĂ©e de vie future ni de messianisme, il croit du moins Ă  l’éternitĂ© d’IsraĂ«l ; il respecte les saints, et, quoique ses idĂ©es sur les longues priĂšres, sur la croyance aux songes, sur l’observation de la loi prĂ©fĂ©rable aux sacrifices, se rapprochent de celles de CohĂ©let, le fils de Sirach est d’une tout autre Ă©cole que notre sceptique auteur. Il est patriote. Or cette religion fondamentale de l’IsraĂ©lite, qui meurt chez lui la derniĂšre et survit Ă  toutes ses dĂ©sillusions, est Ă  peine sensible chez CohĂ©let. il n’est pas fier d’ĂȘtre Juif ; on sent que, s'il doit se trouver un jour en rapports avec les Grecs et les Romains, il fera tous ses efforts pour dissimuler sa race et faire bonne figure, aux dĂ©pens de la Loi, dans le high life de son temps. A quelle date prĂ©cise rapporter notre singulier petit livre ? Cette question est pour la critique l’objet de sĂ©rieux embarras. Autant il est facile de classer idĂ©alement le CohĂ©let, je veux dire de lui assigner sa place dans l’histoire morale d’IsraĂ«l, autant il est difficile de fixer absolument le siĂšcle oĂč il a Ă©tĂ© composĂ©. L’histoire littĂ©raire du peuple juif offre des lacunes Ă©normes, et les considĂ©rations a priori sont, en pareille matiĂšre, singuliĂšrement dangereuses. Telle pensĂ©e qui paraĂźt d’ordre moderne fit peut-ĂȘtre son apparition, dans quelque coin perdu du dĂ©veloppement d’IsraĂ«l, Ă  une Ă©poque ancienne. Telle pensĂ©e qui paraĂźt primitive est souvent, chez ce peuple Ă©trange, contemporaine de l’Empire romain. On peut dire que la littĂ©rature hĂ©braĂŻque se compose de deux floraisons, sĂ©parĂ©es par un dĂ©sert aride de trois cents ans. L’ancienne littĂ©raire hĂ©braĂŻque, comprenant la plus grande partie de la Bible, Ă©tait close vers l’an 500 avant L’état littĂ©raire de la pĂ©riode qui suit, et qui correspond Ă  la domination perse, nous est tout Ă  fait inconnu. Il en faut dire autant de l’époque d’Alexandre et du IIIe siĂšcle avant La lumiĂšre reparaĂźt au IIe siĂšcle avant Vers l’an 170, a lieu cette Ă©ruption extraordinaire de l’enthousiasme juif qui produit les Livres de Daniel, d’HĂ©noch, et beaucoup d’autres Ă©crits dont l’original hĂ©breu s'est malheureusement perdu. Cette veine littĂ©raire se continue par L’Assomption de MoĂŻse, L'Apocalypse d’Esdras, L’Apocalypse de Baruch, les Livres de Judith, de Tobie, contemporains de l’apparition de la nouvelle Bible chrĂ©tienne, et qui Ă©galement ne nous ont Ă©tĂ© conservĂ©s que par des traductions grecques, latines ou orientales. Il est impossible de placer CohĂ©let dans le groupe des grands Ă©crits classiques d’IsraĂ«l, qui finit, vers l’avĂšnement de la dynastie achĂ©mĂ©nide. par les Ă©crits des derniers prophĂštes HaggĂ©e, Zacharie, Malachie. Ce n’est ni dans la troupe toujours haletante des prophĂštes de JĂ©rusalem, ni dans ce VIe siĂšcle le siĂšcle qui suivit la ruine du royaume de Juda si plein pour IsraĂ«l de douleurs, de dĂ©sespoir, d’exaltation religieuse et d’espĂ©rance, qu’on peut caser notre sceptique. Qu’on songe aux brillants rĂȘves d’avenir du second IsaĂŻe, de certains psalmistes. Il y a des heures oĂč l’ñme la plus blasĂ©e devient patriote. Le VIe siĂšcle fut pour le peuple juif une de ces heures. Il est vrai qu’en remontant plus haut, nous trouverions l’école parabolique, en particulier celle qui paraĂźt s’ĂȘtre groupĂ©e autour d’ÉzĂ©chias, avec laquelle notre auteur a plus d’une affinitĂ©. Mais la langue du CohĂ©let porte si Ă©videmment les caractĂšres d’un Ăąge relativement moderne, qu’il faut s’interdire des hypothĂšses qui placeraient le livre Ă  cĂŽtĂ© des monuments classiques du gĂ©nie d’IsraĂ«l. Le CohĂ©let est sĂ»rement postĂ©rieur Ă  l’avĂšnement des AchĂ©mĂ©nides, c’est-Ă -dire Ă  l’an 500 avant Des raisonnements du mĂȘme ordre porteraient Ă  croire qu’il est antĂ©rieur Ă  la crise suscitĂ©e par Antiochus Épiphane, vers l’an, 170 avant Nous avons peine Ă  concevoir notre auteur vivant au milieu des fougueux messianistes du temps des MacchabĂ©es. A partir de cette date jusqu’à la guerre d’Adrien, IsraĂ«l a la fiĂšvre ; il enfante dans la douleur ; il souffre pour l’humanitĂ©. Notre auteur, au contraire, est le plus calme des hommes ; ni le patriotisme, ni le messianisme ne le troublent ; il ne gĂ©mit que sur lui-mĂȘme ; ses tristesses et ses consolations sont pour lui seul. On dirait que le judaĂŻsme n’a pas encore Ă©tĂ© persĂ©cutĂ©. La consĂ©quence Ă  tirer de lĂ , c’est que le CohĂ©let aurait Ă©tĂ© composĂ© sous les AchĂ©mĂ©nides, ou du temps d’Alexandre, ou du temps de la domination des PtolĂ©mĂ©es en Palestine. Mais, nous le rĂ©pĂ©tons, de telles inductions sont bien souvent trompeuses. Une nation ne marche jamais tellement tout d’une piĂšce qu’il ne se produise en elle des courants latĂ©raux. Dans cet Ăąge d’exaltation qui s’étend de Judas MacchabĂ©e Ă  Barkokeba, il y eut des Ă©picuriens fort paisibles, trĂšs amortis en leur zĂšle pour les grands intĂ©rĂȘts d’IsraĂ«l et de l'humanitĂ©. Des groupes isolĂ©s conservaient leur libertĂ© d’esprit. Le fanatisme des AsmonĂ©ens tomba vite. Ces sadducĂ©ens qui ne croient ni aux anges, ni aux esprits, ni Ă  la rĂ©surrection, ces boĂ«thusim, dont le nom Ă©tait synonyme d’épicuriens, toute cette riche aristocratie de prĂȘtres de JĂ©rusalem, qui vivait du temple, et dont la froideur religieuse irritait si fort JĂ©sus et les fondateurs du christianisme[17], Ă©taient bien les frĂšres intellectuels de notre auteur. M. GrĂŠtz a dĂ©veloppĂ©, avec toutes les ressources du savoir le plus profond et de l’esprit le plus ingĂ©nieux, la thĂšse que le CohĂ©let a Ă©tĂ© Ă©crit peu d’annĂ©es avant la naissance de JĂ©sus, sous le rĂšgne d’HĂ©rode, et que le Salomon mythique dont il y est question, c’est HĂ©rode lui-mĂȘme, HĂ©rode arrivĂ© Ă  renouveler, Ă  force de travail et d’intrigue, la grandeur lĂ©gendaire du fils de David, et ne recueillant, sur la fin de sa vie, que les malĂ©dictions du peuple, les tristesses domestiques et l’ennui. Le livre serait ainsi une sorte de satire, un livre d’opposition, rempli d’allusions et de malices. A peine est-il un verset du CohĂ©let oĂč M. GrĂŠtz ne voie quelque circonstance des rĂ©cits de JosĂšphe. Par moments trĂšs sĂ©duisant, le systĂšme de M. GrĂŠtz est insoutenable dans son ensemble. Ce que le savant israĂ©lite a bien prouvĂ©, c’est qu’on ne peut descendre trop bas quand il s’agit de fixer la date du CohĂ©let. Quelques observations des plus fines, dĂ©jĂ  faites du reste avant M. Graetz par M. Nahman Krochmal, sur les derniers versets, montrent que rien ne s’oppose Ă  ce que la composition du livre ne remonte pas au delĂ  des temps hĂ©rodiens ou asmonĂ©ens. La langue est ici Ă©videmment le critĂ©rium le plus important. Il est en gĂ©nĂ©ral assez facile de distinguer un ouvrage hĂ©breu de la grande Ă©poque, c’est-Ă -dire antĂ©rieur Ă  l’an 500, d’un ouvrage hĂ©breu postĂ©rieur, tel qu’Esther, Esdras, NĂ©hĂ©mie, Les Chroniques, Daniel. Le vieux style hĂ©breu a un caractĂšre Ă  part, ferme, nerveux, serrĂ© comme un cĂąble, tordu, Ă©nigmatique. L’hĂ©breu moderne, au contraire, est lĂąche, sans timbre, flasque, tout Ă  fait analogue Ă  l’aramĂ©en. Les aramaĂŻsmes y abondent ; les Ă©crits conçus en ce dialecte peuvent ĂȘtre traduits mot Ă  mot en aramĂ©en, sans rien y perdre. Il n’en est pas de mĂȘme du CohĂ©let. Oui, certes, la langue du livre est moderne ; mais elle est peu teintĂ©e d’aramaĂŻsme ; le livre est presque impossible Ă  bien traduire en syriaque. Ce Ă  quoi cet hĂ©breu ressemble, c’est Ă  la Mischna, et surtout au traitĂ© Eduioth, aux PirkĂ© aboth, Ă  la Megillath Taanith. Or la Mischna reprĂ©sente l’hĂ©breu du IIe siĂšcle aprĂšs hĂ©breu trĂšs diffĂ©rent de la langue fortement aramaĂŻsĂ©e qui Ă©tait devenue Ă  la mode chez les Juifs vers l’époque achĂ©mĂ©nide. Par la langue, le CohĂ©let parait le plus rĂ©cent des livres bibliques, le plus voisin du Talmud. Les considĂ©rations palĂ©ographiques, si l’on peut s’exprimer ainsi, conduisent Ă  la mĂȘme conclusion. Un rĂ©sultat incontestable de l’étude critique dont le livre a Ă©tĂ© l’objet dans les derniers temps, c’est qu’il fourmille de fautes de copiste. Or toutes ces fautes ont Ă©tĂ© commises dans l’alphabet hĂ©breu moderne, qu’on appelle l’alphabet carrĂ©. Cet alphabet, qui est l’alphabet aramĂ©en lui-mĂȘme, ou du moins qui est sorti de l’ancien alphabet par des modifications identiques Ă  celles qui ont produit l’aramĂ©en[18], Ă©tait l’alphabet en usage vers l’époque asmonĂ©enne. Tout prouve que le CohĂ©let fut Ă©crit et copiĂ© d’abord dans un alphabet trĂšs usĂ©, trĂšs fatiguĂ©, avec des ligatures, oĂč plusieurs lettres se ressemblaient, et qui prĂ©sentait comme une sĂ©rie de traits verticaux se tenant entre eux et trĂšs faciles Ă  confondre. On sent que le livre n’eut d’abord rien de sacrĂ©, rien d’officiel. Ce fut une Ă©criture privĂ©e, longtemps gardĂ©e comme telle, copiĂ©e avec toutes les fautes qu’entraĂźne l’usage d’un caractĂšre cursif. La traduction grecque du CohĂ©let prĂ©sente des caractĂšres Ă  part, qui invitent Ă©galement Ă  croire que le livre entra tard dans le Canon et y fut rattachĂ© comme une sorte d’appendice. Si cette traduction n’est point d’Aquila, elle est au moins de son Ă©cole et de sa maniĂšre. Aquila traduisit au temps d’Adrien vers 130 aprĂšs JĂ©sus-Christ, et sous l’influence des idĂ©es de Rabbi Aquiba. Le principe fondamental de Rabbi Aquiba Ă©tait que tout mot, dans le texte de la Bible, a une valeur par lui-mĂȘme et ajoute une nuance au sens. Aquila en concluait que chaque mot hĂ©breu doit ĂȘtre traduit par un mot grec. De tous les mots hĂ©breux le plus vide de sens est sĂ»rement la particule et, qui sert Ă  marquer le rĂ©gime direct du verbe. Un traducteur grec raisonnable a rempli son devoir quand il a mis Ă  l’accusatif le mot prĂ©cĂ©dĂ© de cette particule. Aquila ne l’entendait pas ainsi. Il rendait systĂ©matiquement et par sun, quoique cela ne fĂźt en grec aucun sens. Traduisant, par exemple, le premier verset de la GenĂšse, il mettait que Dieu crĂ©a sun ton ouranon kai sun tĂšn gĂšn »[19], Or cette particularitĂ© bizarre s’observe toujours dans la traduction grecque du CohĂ©let qui fait partie de la Bible grecque orthodoxe. Cette traduction se distingue, d’ailleurs, par une littĂ©ralitĂ© extrĂȘme. Elle a donc Ă©tĂ© faite sous l’influence des idĂ©es de Rabbi Aquiba. Est-elle d’Aquila lui-mĂȘme ? Cela est trĂšs douteux ; car une version grecque diffĂ©rente de celle-lĂ  figurait dans les HĂ©xaples d’OrigĂšne sous le nom d’Aquila. Mais Aquila fit souvent plusieurs versions d’un mĂȘme livre. Les deux versions, au moins, sont sĂ»rement contemporaines ; car cette bizarre manie de rendre et par sun dura trĂšs peu de temps. On la trouvait aussi dans la traduction grecque, maintenant perdue, de L’Apocalypse d’Esdras, ouvrage de la fin du Ier siĂšcle de notre Ăšre[20]. Il semble donc que le CohĂ©let ne fut traduit en grec que vers l’an 130 aprĂšs JĂ©sus-Christ. Cela coĂŻncide avec ce fait qu’on n’en trouve aucune citation chez les Ă©crivains chrĂ©tiens du Ier et du IIe siĂšcle. Pourquoi le CohĂ©let a-t-il Ă©tĂ© traduit si tardivement, quand tous les autres Ă©crits hĂ©breux ont passĂ© en grec au IIIe et au IIe siĂšcle avant JĂ©sus-Christ ? Probablement parce qu’il ne faisait pas partie de la Bible Ă  cette Ă©poque ; peut-ĂȘtre mĂȘme parce qu’il n’était pas encore composĂ©. Les derniers versets, enfin, prĂ©sentent quelques particularitĂ©s qui conduisent Ă  considĂ©rer le livre comme le plus moderne des Ă©crits de la Bible hĂ©braĂŻque, M. Nahman Krochmal remarqua le premier que les deux versets qui suivent n’ont aucun rapport avec l’ouvrage et ont dĂ» servir de clausule finale au recueil biblique, quand le CohĂ©let formait les derniĂšres pages du volume. Ce n’est point par hasard que ce petit quatrain se trouve fixĂ© Ă  la fin de notre livre, et non Ă  la fin des Chroniques, ou d’Esther ou de Daniel, qui, eux aussi, ont longtemps traĂźnĂ© aux derniers feuillets du volume sacrĂ©. L’addition de notre livre au Canon paraĂźt donc un fait rĂ©cent et dont les traces se laissent encore apercevoir. Le livre ne renferme pas un grand nombre de traits qui puissent servir Ă  tracer le tableau du temps oĂč vivait l'auteur. On voit bien, Ă  son Ă©tat d’ñme, que les vieilles mƓurs Ă©taient perdues. La famille est dĂ©truite ; la femme, Ă  la suite des scandales de l’époque sĂ©leucide et Ă  la veille des effroyables crimes domestiques de l’ñge hĂ©rodien, est devenue un flĂ©au. Ce qui soutenait l’ancien sage, quand sa philosophie Ă©tait trop Ă©branlĂ©e, c’était l’espĂ©rance de se survivre en ses enfants. La postĂ©ritĂ© le consolait de la fragilitĂ© de la vie individuelle. Notre auteur voit dans cette façon de raisonner une amĂšre duperie. Que sait-on de ses enfants ? Ce seront peut-ĂȘtre des sots, qui vous couvriront de honte et dĂ©moliront ce que vous avez cherchĂ© Ă  Ă©difier. Le vrai commentaire du CohĂ©let, ce sont les livres XII et XIII des AntiquitĂ©s de JosĂšphe, ce tissu de crimes et de bassesses qui, surtout, depuis l’an 200 av. Ă  peu prĂšs, compose l’histoire de la Palestine. Les hasidim Ă©chappaient Ă  la rĂ©alitĂ© par leurs rĂȘves messianiques ; notre auteur y Ă©chappe par son fatalisme rĂ©signĂ© et par son goĂ»t de la vie raffinĂ©e. Le temple de JĂ©rusalem existait quand le livre fut Ă©crit, et le culte y florissait. Le sacerdoce Ă©tait organisĂ© avec un certain pouvoir temporel. Il y avait des piĂ©tistes zĂ©lĂ©s, qui exagĂ©raient les prescriptions et faussaient la religion par un zĂšle et une austĂ©ritĂ© outrĂ©s. JĂ©rusalem Ă©tait le siĂšge d’une royautĂ© et d’une cour, oĂč les gens un peu notables de la ville aspiraient Ă  briller. Les dynasties et les villes indĂ©pendantes pullulaient en Syrie ; elles se faisaient des guerres sans fin. Une petite ville pouvait avoir un siĂšge Ă  soutenir. Il semble qu’aucun grand pouvoir comme celui des AchĂ©mĂ©nides, ou d’Alexandre, ou des PtolĂ©mĂ©es, ou des SĂ©leucides ne se faisait sentir[21]. Le moment oĂč un pareil Ă©tat social de la JudĂ©e et de l’Orient nous reporte est vers l’an 125 avant JĂ©sus-Christ. Le pouvoir des sĂ©leucides s’était effondrĂ© et avait laissĂ© la place Ă  des petites dynasties locales, Ă  des villes autonomes[22]. La royautĂ© d’IsraĂ«l s’était relevĂ©e par les AsmonĂ©ens. Bien que sortie d’un fanatisme brĂ»lant, cette dynastie, surtout aprĂšs sa rupture avec les pharisiens sous Jean Hyrcan, devint bientĂŽt assez profane. Alexandre JannĂ©e et Jean Hyrcan sont des rois comme d’autres, religieux par habitude et par politique, cruels, avides, mĂ©chants, au fond trĂšs peu dĂ©vots. C’est le temps des hasidim et le commencement des sectes comme les essĂ©niens, qui, justement par rĂ©action contre la perversion du monde, introduisent dans l’israĂ©litisme un esprit de mysticitĂ© inconnu jusque-lĂ . Ces gens qualifiĂ©s de sots », qui se livraient aux pratiques d’un ascĂ©tisme exaltĂ©, Ă  des abstinences inutiles, qui se prĂ©occupaient vainement de l’avenir et de ce qui arrive aprĂšs la mort, qui trouvaient mauvais que l’homme jouĂźt tranquillement de l’aisance qu’il avait acquise par un travail honnĂȘte, Ă©taient probablement les premiers en date de ces fous du royaume de Dieu dont la folie allait gagner le monde et que notre auteur ou ses pareils devaient accueillir de tous leurs dĂ©dains. S’il fallait s’arrĂȘter Ă  une date un peu prĂ©cise, c’est vers ce temps, une centaine d’annĂ©es avant la naissance de JĂ©sus, que je placerais la composition du CohĂ©let. L’auteur fut peut-ĂȘtre quelque arriĂšre-grand-pĂšre d’Anne ou de CaĂŻphe, de ces prĂȘtres aristocrates qui condamnĂšrent JĂ©sus d’un cƓur si lĂ©ger. Il fut l’idĂ©al de ce qu’on appelait un sadducĂ©en, je veux dire de ces gens riches, sans fanatisme, sans croyance d’aucune sorte en l’avenir, attachĂ©s au culte du temple qui faisait leur fortune, furieux contre les fanatiques et toujours enchantĂ©s quand on les mettait Ă  mort. On a souvent cherchĂ© Ă  prouver que la philosophie de l’auteur porte la trace d’une influence de la philosophie grecque. Rien n’est moins certain. Tout absolument s’explique dans le livre par le dĂ©veloppement logique de la pensĂ©e juive. L’auteur est trĂšs probablement postĂ©rieur Ă  Épicure ; il semble bien cependant qu’il n’avait pas reçu d’éducation hellĂ©nique. Son style est sĂ©mitique au premier chef. Dans toute sa langue, pas un mot grec, pas un hellĂ©nisme caractĂ©risĂ©[23]. D’un autre cĂŽtĂ©, il est loin de pousser aussi loin qu’Épicure la radicale nĂ©gation de la Providence et le principe de l’insouciance des dieux Ă  l’égard des choses humaines. Sa physique est assez saine ; mais elle rĂ©sulte bien plutĂŽt, comme celle de ThalĂšs et d’HĂ©raclite, d’observations gĂ©nĂ©rales trĂšs justes, que d’un travail vraiment scientifique Ă  la façon d’ArchimĂšde ou de l’école d’Alexandrie. Sa morale de juste milieu a sĂ»rement des analogues en GrĂšce, Ă  CyrĂšne surtout. Il cĂŽtoie sans cesse ThĂ©odore de CyrĂšne[24], sans s’arrĂȘter Ă  ses assertions franchement irrĂ©ligieuses. Aristippe de CyrĂšne reconnaĂźtrait Ă  beaucoup d’égards son confrĂšre dans ce juif dĂ©gagĂ©, qu’aucun prĂ©jugĂ© n’aveugle et qui arrive Ă  placer le but suprĂȘme de la vie dans le plaisir tranquille. CyrĂšne fut, avec Alexandrie, la ville oĂč il y eut le plus de Juifs. Mais les mĂȘmes causes produisent, dans les familles humaines les plus diverses, des effets semblables. Le galant homme se ressemble en Europe, en Chine, au Japon. La GrĂšce, Ă  vrai dire, n’eĂ»t point Ă©crit une Ɠuvre aussi dĂ©couragĂ©e. La foi en la science soutient la GrĂšce, Le CohĂ©let est l’Ɠuvre d’une absolue dĂ©crĂ©pitude. Jamais on ne fut plus vieux, plus profondĂ©ment Ă©puisĂ©. Et dire que ce livre de scepticisme, Ă  la fois Ă©lĂ©gant et morne, fut Ă©crit peu de temps avant l’Évangile et le Talmud !... Peuple Ă©trange, en vĂ©ritĂ©, et fait pour prĂ©senter tous les contrastes ! Il a donnĂ© Dieu au monde, et il y croit Ă  peine. Il a créé la religion, et c’est le moins religieux des peuples ; il a fondĂ© l’espĂ©rance de l'humanitĂ© en un royaume du ciel, et tous ses sages nous rĂ©pĂštent qu’il ne faut s’occuper que de la terre. Les races les plus Ă©clairĂ©es prennent au sĂ©rieux ce qu’il a prĂȘchĂ©, et lui, il en sourit. Sa vieille littĂ©rature a excitĂ© le fanatisme de toutes les nations, et il en voit mieux que personne les cĂŽtĂ©s faibles. Aujourd’hui, comme il y a deux mille ans, il clorait volontiers le rouleau sacrĂ© par cette petite rĂ©flexion de lecteur ami de ses aises Assez de livres inspirĂ©s comme cela ! Trop lire fatigue la chair. » Le livre CohĂ©let ne commence Ă  faire parler de lui que vers la fin du Ie siĂšcle de notre Ăšre. AprĂšs la destruction de JĂ©rusalem par Titus, le centre de l'autoritĂ© juive se transporte Ă  IabnĂ© ou Iamnia, Ă  quatre lieues et demie environ au sud de Jaffa[25]. LĂ , le judaĂŻsme s’organise et se resserre ; lĂ , en particulier, vers l’an 80 de notre Ăšre, se pose la question des livres anciens qu’il faut conserver et qui doivent faire partie du Canon. Job, ÉzĂ©chiel, Le Cantique des cantiques et Les Proverbes prĂȘtaient Ă  plus d’une objection, Ă  cause de quelques images Ă©tranges, de certaines hardiesses et d’un ou deux tableaux libres. On les conserva nĂ©anmoins. La question du CohĂ©let fut Ă©galement agitĂ©e. Le ton libertin qui y rĂšgne avait de quoi troubler une Ă©poque aussi pieuse. La discussion fut vive ; le livre l’emporta cependant. Quelques versets d’apparence religieuse sauvĂšrent le reste. Le temps, d’ailleurs, Ă©tait aux interprĂ©tations bizarres. On ne cherchait plus dans un livre son sens naturel. On y cherchait mille sens auxquels l'auteur n’avait jamais pensĂ©. On eĂ»t trouvĂ© des mystĂšres sublimes dans des amas de lettres jetĂ©es au hasard. Un texte ancien Ă©tait devenu un grimoire qui servait Ă  des jeux de mots. Que le texte signifiĂąt ceci ou cela, c’était chose fort indiffĂ©rente. On n’avait plus d’yeux pour voir ni pour lire. En gĂ©nĂ©ral, du reste, on lit mal, quand on lit Ă  genoux. Avec de tels procĂ©dĂ©s, il n’est pas surprenant qu’on ait pu faire d’un dialogue d’amour un livre d’édification, d’un livre sceptique un livre de philosophie sacrĂ©e. Les docteurs de IabnĂ© ne comprirent rien ni Ă  l’un ni Ă  l’autre, et ce fut fort heureux ; car, s’ils eussent compris, certainement ils eussent dĂ©truit les livres qui les scandalisaient. L’erreur accrĂ©ditĂ©e sur l’auteur des deux livres fut aussi, Ă  quelques Ă©gards, salutaire. On les croyait de Salomon, et une origine si respectable empĂȘchait de voir les objections. La Sagesse de JĂ©sus, fils de Sirach, qui n’offrait pas de difficultĂ©s Ă  beaucoup prĂšs aussi sĂ©rieuses Ă  l’orthodoxie, fut arrĂȘtĂ©e sur le seuil de la canonicitĂ©, parce qu’elle avouait trop naĂŻvement son origine moderne. L’auteur porta la peine de sa sincĂ©ritĂ©. Selon l’esprit du temps, un livre n’avait d’autoritĂ© que s’il portait le nom d’un patriarche, d’un prophĂšte, d’un vieux scribe vĂ©nĂ©rĂ©. Vers l’an 100 de notre Ăšre, le CohĂ©let fait donc partie de la Bible juive. Vers l’an 135, Aquila le traduit en grec, et les chrĂ©tiens commencent Ă  le lire. Les consĂ©quences de cette lecture se laissent d’abord bien peu sentir. Les chrĂ©tiens, avec leur assurance, allant jusqu’au martyre, du prochain avĂšnement de la justice divine, ne pouvaient beaucoup goĂ»ter les sentences dĂ©couragĂ©es de notre jouisseur blasĂ©. Ni saint Justin, ni saint IrĂ©nĂ©e, ni Tertullien, ni ClĂ©ment d’Alexandrie ne citent L'EcclĂ©siaste[26]. L’Église, cependant, pour les jugements sur la canonicitĂ© des livres, dĂ©pendait encore de la synagogue. Tout livre hĂ©breu, dĂšs qu’il Ă©tait traduit en grec, devenait un livre sacrĂ©. Ainsi la traduction d’Aquila s’introduisit dans l’Église. OrigĂšne vers 230 met le CohĂ©let, sans rĂ©serve ni distinction, parmi les livres sacrĂ©s. Vers 250, Denys d’Alexandrie le commente[27]. Plus tard, Jean ChrysostĂŽme en tire d’éloquentes paroles, au lendemain de la disgrĂące d’Eutrope, et, au moment de la chute de Rome, saint JĂ©rĂŽme le lit Ă  sainte BlĂ©sille pour la consoler en lui montrant combien ici-bas tout est vanitĂ©[28]. L'exĂ©gĂšse grossiĂšre et puĂ©rile du moyen Ăąge ne se soucia d'aucune des difficultĂ©s que le livre devait prĂ©senter Ă  quiconque eĂ»t rĂ©flĂ©chi. Grotius le premier avoua le scandale que lui causaient certains passages. Il aperçut trĂšs bien aussi que la langue Ă©tait postĂ©rieure Ă  la captivitĂ©. Van der Palm, Umbreit, Knobel, Herzfeld, Luzzalto, Jahn, Augusti, de Wette, virent le scepticisme de l'auteur, mais ne se l'expliquĂšrent pas. Une idĂ©e trĂšs fausse, celle d'un dialogue oĂč tour Ă  tour un piĂ©tiste et un sadducĂ©en exposaient des idĂ©es contraires, fit un moment fortune. M. Hilzig et M. Ewald ouvrirent la voie des explications historiques, mais mĂ©connurent le caractĂšre de libre pensĂ©e qui domine le livre, et le faussĂšrent tout Ă  fait en prĂ©tendant y trouver un transcendentalisme prĂ©tentieux. CohĂ©let fut pour eux une sorte de thĂ©ologien Ă  la façon de Zurich ou de GƓttingue, procĂ©dant par pĂ©dantes circonvolutions. M. Ewald et M. Hilzig, cependant, firent faire un vĂ©ritable progrĂšs Ă  l’exĂ©gĂšse du livre, en montrant qu’il fallait pour l’expliquer descendre jusqu’à l’époque macĂ©donienne. M. Zirkel reconnut aussi que le livre Ă©tait encore plus moderne que les premiers critiques protestants, rĂ©putĂ©s hardis, ne l’avaient supposĂ©. Le CohĂ©let est un ouvrage si profondĂ©ment juif qu’il Ă©tait rĂ©servĂ© Ă  des critiques juifs d’en saisir dĂ©finitivement le caractĂšre et le sens vĂ©ritable. MoĂŻse Mendelssohn, Samuel David Luzzatio, le comprirent beaucoup mieux que ne l’avaient fait les thĂ©ologiens protestants. Enfin il a Ă©tĂ© donnĂ© Ă  M. GrĂŠtz d’accomplir, dans l’exĂ©gĂšse du livre qui nous occupe, le pas le plus considĂ©rable[29]. Une foule d’exĂ©gĂštes avaient signalĂ© le caractĂšre moderne de la langue du CohĂ©let ; M. GrĂŠtz a fort bien remarquĂ© que ce n’est pas assez dire et que, pour trouver les vrais analogues de ce style, c’est presque jusqu’à la Mischna qu’il faut descendre. Certes M. GrĂŠtz a Ă©tĂ© beaucoup trop loin en prĂ©tendant prĂ©ciser une foule de traits de la pensĂ©e de l’auteur dont la vĂ©ritable nuance nous Ă©chappera toujours. Pour faire du livre un pamphlet politique contre le gouvernement d’HĂ©rode, devenu vieux et impopulaire, il faut forcer une foule de dĂ©tails et voir dans le livre autre chose que ce qui s’y trouve. Ce qui est bien plus choquant dans l’ouvrage de M. GrĂŠtz, c’est l’explication des deux derniers chapitres. Si cette explication Ă©tait admise, le CohĂ©let serait un mauvais livre, un livre de mauvais conseils. Or, voilĂ  ce qu’il n’est nullement. C’est un livre de scepticisme Ă©lĂ©gant ; on peut le trouver hardi, libre mĂȘme ; jamais il n’est immoral ni obscĂšne. L’auteur est un galant homme, non un professeur de libertinage, et c’est ce qu’il serait vraiment si la fin du livre renfermait les Ă©tranges sous-entendus admis par M. GrĂŠtz. Le texte du CohĂ©let est, avec le texte du Livre des Psaumes, la partie de la Bible oĂč il y a le plus de fautes de copistes. Toutes les fautes, comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, proviennent des confusions auxquelles prĂȘte l’alphabet carrĂ©. La comparaison du texte massorĂ©tique avec les anciennes versions prouve que la supposition de pareilles fautes n’est pas le fait d’une critique aux abois. Cette comparaison fournit dĂ©jĂ  le moyen de corriger plusieurs des altĂ©rations du texte hĂ©breu. La palĂ©ographie fournit un instrument critique bien autrement efficace. Le progrĂšs de l’épigraphie sĂ©mitique tirera enfin l’exĂ©gĂšse biblique de l’impasse oĂč elle Ă©tait engagĂ©e. La vieille Ă©cole, qui s’obligeait Ă  expliquer le texte tel qu’il est, mĂȘme quand notoirement il est corrompu, paraĂźtra puĂ©rile. Mais l’école qui substitue arbitrairement des leçons commodes Ă  tout ce qui l’embarrasse ne sera pas moins condamnĂ©e. À dĂ©faut de la comparaison des manuscrits, qui, en ce qui touche la Bible, est infĂ©conde ou Ă©puisĂ©e, un seul moyen reste Ă  la critique pour tĂącher de retrouver le texte primitif de ces antiques livres, dont quelques-uns ont Ă©tĂ© fortement viciĂ©s par les copistes c’est de se les figurer Ă©crits dans l’alphabet oĂč ils furent composĂ©s et oĂč ils subirent leurs premiĂšres aventures. De la sorte on arrive Ă  des conjectures plausibles, quelquefois certaines. Le texte, du reste, nous aurait Ă©tĂ© conservĂ© lettre pour lettre tel qu’il fut Ă©crit par son auteur, que de grandes difficultĂ©s resteraient encore. Les idĂ©es de l’auteur sont d’un ordre assez simple et ne demandent, pour ĂȘtre comprises, aucun effort de mĂ©taphysique. Mais sa langue est singuliĂšrement embarrassĂ©e. Il procĂšde par petites retouches successives. Au lieu du grand style synthĂ©tique de Platon et d’Aristote, son hĂ©breu est comme un entassement de pierres sĂšches, sans ciment. L’auteur est un esprit cultivĂ©, qui ne trouve sous sa main qu’un idiome rebelle au but qu’il se propose. L’hĂ©breu, aux VIIIe, VIIe et VIe siĂšcles avant JĂ©sus-Christ, avait produit des chefs-d’Ɠuvre que l’humanitĂ© devait adopter comme des inspirations divines ; mais cette littĂ©rature classique Ă©tait trĂšs limitĂ©e. Elle n’avait rien qui pĂ»t s’appeler science ou philosophie. Admirable pour l’expression de la passion, l’hĂ©breu n’a aucune souplesse pour le raisonnement. L’arabe, au XIe et au XIIe siĂšcle de notre Ăšre, se trouva dans le mĂȘme embarras. On le fit servir Ă  l’expression d’idĂ©es pour lesquelles il n’avait pas Ă©tĂ© créé. De lĂ  une extrĂȘme gaucherie. Sauf les moments oĂč ils s’échappent dans le mysticisme, les philosophes arabes sont de mauvais Ă©crivains. Les langues sĂ©mitiques ne se prĂȘtent nullement Ă  l’expression d’idĂ©es enchevĂȘtrĂ©es. Elles recherchent le trait vif, l’étincelle ; elles dĂ©composent le raisonnement et en Ă©talent les membres. Supposons Descartes pourvu d’un tel instrument ; oĂč serait le Discours sur la mĂ©thode ? Que deviendrait en un tel idiome la phrase suivante de Spinoza ? L’expĂ©rience m’ayant appris Ă  reconnaĂźtre que tous les Ă©vĂ©nements de la vie commune sont choses vaines et futiles, que tous les objets de nos craintes n’ont rien en soi de bon ni de mauvais et ne prennent ce caractĂšre qu’autant que l’ñme en est touchĂ©e, j’ai pris enfin la rĂ©solution de rechercher s’il existe un bien vĂ©ritable et capable de se communiquer aux hommes, un bien qui puisse remplir seul l’ñme tout entiĂšre, aprĂšs qu’elle a rejetĂ© tous les autres biens, un bien, en un mot, qui donne Ă  l’ñme, quand elle le trouve et le possĂšde, l’éternel et suprĂȘme bonheur. Et ce beau cri de l’ñme vertueuse de Kant ? Devoir ! mot grand et sublime, toi qui n’as rien d’agrĂ©able ni de flatteur, et qui commandes la soumission, sans pourtant employer pour Ă©branler la volontĂ© des menaces propres Ă  exciter naturellement l’aversion et la terreur, mais en te bornant Ă  proposer une loi qui d’elle-mĂȘme s’introduit dans l’ñme et la force au respect sinon toujours Ă  l’obĂ©issance, et devant laquelle se taisent tous les penchants, quoiqu’ils travaillent sourdement contre elle, quelle origine est digne de toi ? OĂč trouver la racine de la noble tige qui repousse fiĂšrement toute alliance avec les penchants, cette racine oĂč il faut placer la condition indispensable de la valeur que les hommes peuvent se donner Ă  eux-mĂȘmes ? CohĂ©let, au fond, a compris tout cela et voudrait le dire. Il a l’esprit philosophique ; mais il n’a pas une langue philosophique Ă  sa disposition. Ses efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s pour faire un raisonnement ressemblent aux tortures d’un grand musicien forcĂ© d’exĂ©cuter une symphonie compliquĂ©e avec un orchestre tout Ă  fait grossier. Une observation trĂšs juste, due Ă  M. Joseph Derenbourg, jette le plus grand jour sur la maniĂšre d’écrire de notre auteur et sur les rĂšgles qui prĂ©sident Ă  la conduite de sa pensĂ©e. Un des traits caractĂ©ristiques de cette poĂ©sie morale de l’Inde et de la Perse avec laquelle le CohĂ©let a dĂ©jĂ  tant d’analogies, c’est l’habitude d’insĂ©rer des vers dans le tissu de la prose, soit que ces vers consistent en citations de poĂšmes connus, soit qu’ils aient Ă©tĂ© composĂ©s par l’auteur lui-mĂȘme. M. Ewald avait dĂ©jĂ  remarquĂ© les proverbes, presque sans connexion avec le texte, dont l’auteur sĂšme sa dĂ©clamation, pour en rompre le cours trop monotone. M. Derenbourg[30] montre qu’en ceci CohĂ©let a devancĂ© le genre dont Saadi prĂ©sente le modĂšle achevĂ©, et qui a ses origines dans la Perse sassanide et ultĂ©rieurement dans l’Inde. La teneur gĂ©nĂ©rale du style de L’EcclĂ©siaste, c’est la prose. Mais, par moments, le parallĂ©lisme se fait sentir, et presque toujours, Ă  ces moments-lĂ , la suite des idĂ©es est violemment brisĂ©e. En admettant que ces maximes, trĂšs peu liĂ©es avec ce qui prĂ©cĂšde et ce qui suit, sont des citations ou plutĂŽt des intercalations mĂ©triques, on soulage singuliĂšrement la difficultĂ© que l’on trouve Ă  faire tenir l’ouvrage sur ses pieds[31]. Le traducteur est Ă  cet Ă©gard un excellent juge. Toutes les traductions de L’EcclĂ©siaste ont, en quelques endroits, un air gauche et incohĂ©rent. Dans l’hypothĂšse oĂč c’est l’auteur lui-mĂȘme qui, de temps en temps, rompt sa trame pour y broder des espĂšces d’appliques, on obtient un texte bien plus satisfaisant. Il en rĂ©sulte mĂȘme un certain charme ces petites parenthĂšses enlĂšvent Ă  la prose un sĂ©rieux trop prolongĂ© ; elles dĂ©tournent le lecteur de la fausse idĂ©e qu’un raisonnement rigoureux se cache sous ces lĂ©gĂšres fioritures. Quelquefois, en effet, le lien logique manque tout Ă  fait ; ce sont des coups d’archet, de lĂ©gĂšres ritournelles de violon, uniquement destinĂ©s Ă  sĂ©parer des paragraphes, ou de simples roses jetĂ©es en passant, comme ces fleurettes qui Ă©maillent les interlignes d’un manuscrit persan du XVIe siĂšcle. Mais comment rendre sensible, dans une traduction, ce passage de la prose aux citations en vers ? D’ordinaire, pour exprimer le rhythme de la poĂ©sie parabolique, il suffit de conserver la coupe parallĂšle des distiques. Dans Le Livre de Job, par exemple, une bonne traduction française est presque aussi rhythmĂ©e que l’original. Il n’en serait pas de mĂȘme dans CohĂ©let. Le parallĂ©lisme est ici trĂšs faible. Le rhythme des vers citĂ©s consiste principalement en quelque chose de sautillant, de lĂ©ger, de prĂ©tentieusement Ă©lĂ©gant. Pour rendre ce caractĂšre, j’ai essayĂ© les mĂštres anciens de notre poĂ©sie, avec un minimum de rime ou plutĂŽt d’assonance. Je prie les poĂštes exquis de notre temps de ne pas croire que j’aie voulu marcher sur leurs brisĂ©es. Je n’ai songĂ© en rien Ă  lutter avec leurs harmonieuses mĂ©lopĂ©es. Il s’agissait de calquer en français des sentences conçues dans le ton dĂ©gagĂ©, goguenard et prudhomme Ă  la fois de Pibrac, de Marculfe ou de Chatonnet, de produire une saveur analogue Ă  celle de nos quatrains de moralitĂ©s ou de nos vieux proverbes en bouts-rimĂ©s. La rime est, aprĂšs tout, la jonglerie qui ressemble le plus au procĂ©dĂ© de CohĂ©let, Ă  ces mots lancĂ©s en l'air, retombant, rattrapĂ©s avec une prestesse vertigineuse. Il m’a Ă©tĂ© impossible de faire comprendre autrement le tour funambulesque de certaines boutades transcendantes, surtout du morceau sur la vieillesse, sorte de joujou funĂšbre qu’on dirait ciselĂ© par Banville ou ThĂ©ophile Gautier, et que je trouve supĂ©rieur mĂȘme aux Quatrains de KhayyĂąm. Pour le reste de l’ouvrage, j’ai cru, au moyen de petits couplets, touchant d’un cĂŽtĂ© Ă  la platitude, de l’autre Ă  la gaudriole, allant de La Palisse Ă  Pibrac, j’ai cru, dis-je, ĂȘtre dans le ton de mon original, tour Ă  tour Ă©loquent et ironique, sĂ©rieux et railleur. C’est en pareil cas que l’on sent combien la traduction littĂ©rale peut ĂȘtre lĂ  pire des trahisons. VoilĂ  un morceau de haute volĂ©e littĂ©raire, dĂ©nuĂ© de toute intention dogmatique, que vous traduisez pĂ©dantesquement en lourde prose de thĂ©ologien, pour la plus grande satisfaction des scolastiques. Quel amer contre-sens ! Autant vaudrait tourner BĂ©ranger en homĂ©lie, ou mettre les Sermons de Bossuet en madrigaux. En somme, le livre CohĂ©let, tel qu’il sort des vigoureux serres de la critique moderne, est un des ouvrages les plus charmants que nous ait lĂ©guĂ©s l’antiquitĂ©. Le plan a le dĂ©faut de toutes les fictions juives. Il n’est pas bĂąti d’une maniĂšre assez ferme. Le parti gĂ©nĂ©ral du livre, cette façon de dĂ©rouler la confession d’un vieux roi dĂ©goĂ»tĂ© de la vie, pour amener par toutes les voies la conclusion Tout est vanitĂ© », est indiquĂ© avec un rare bonheur ; il n’est pas suivi avec assez de persistance. L’auteur se perd en des rĂ©flexions dont on ne voit pas le lien avec le thĂšme principal. Comme dans Le Livre de Job, il faut mettre de la complaisance pour ramener Ă  l’unitĂ© cette divagation sans frein. Le manque d’unitĂ© est aussi le dĂ©faut qu’on trouve au plus haut degrĂ© dans le Cantique des cantiques. Seuls, les Grecs ont su crĂ©er des Ɠuvres logiques, parfaitement suivies, consĂ©quentes avec elles-mĂȘmes. Le simplex duntaxat et unum est la dĂ©couverte du gĂ©nie grec. Chaque composition hellĂ©nique est comme un temple, oĂč toutes les parties sont des fonctions les unes des autres, si bien qu’on peut restituer le tout avec une seule de ses parties. Certes, il n’en est pas ainsi du CohĂ©let. Des chapitres entiers pourraient ĂȘtre retranchĂ©s sans que le tout en souffrit. La philosophie de l'auteur n'est pas non plus trĂšs rigoureusement enchaĂźnĂ©e. La consĂ©quence de ses prĂ©misses devrait ĂȘtre l’impiĂ©tĂ©. ThĂ©odore de CyrĂšne, qui a tant de rapports avec lui, conclut, en effet, Ă  l’athĂ©isme. Mais l’inconsĂ©quence de CohĂ©let a quelque chose de touchant. Aux deux ou trois endroits oĂč l’on croirait qu’il va s’enfoncer dans le pur matĂ©rialisme, il se relĂšve tout Ă  coup par un accent Ă©levĂ©. Cette façon de philosopher est la vraie. On ne fera jamais taire les objections du matĂ©rialisme. Il n’y a pas d’exemple qu’une pensĂ©e, un sentiment se soient produits sans cerveau ou avec un cerveau en dĂ©composition. D’un autre cĂŽtĂ©, l’homme n’arrivera point Ă  se persuader que sa destinĂ©e soit semblable Ă  celle de l’animal. MĂȘme quand cela sera dĂ©montrĂ©, on ne le croira pas. C’est ce qui doit nous rassurer Ă  penser librement. Les croyances nĂ©cessaires sont au-dessus de toute atteinte. L’humanitĂ© ne nous Ă©coutera que dans la mesure oĂč nos systĂšmes conviendront Ă  ses devoirs et Ă  ses instincts. Disons ce que nous pensons ; la femme n’en continuera pas moins sa joyeuse cantilĂšne, l’enfant n’en deviendra pas plus soucieux, ni la jeunesse moins enivrĂ©e ; l’homme vertueux restera vertueux ; la carmĂ©lite continuera Ă  macĂ©rer sa chair, la mĂšre Ă  remplir ses devoirs, l’oiseau Ă  chanter, l’abeille Ă  faire son miel. Dans ses plus grandes folies, CohĂ©let n’oublie pas le jugement de Dieu. Faisons comme lui. Au milieu de l’absolue fluiditĂ© des choses, maintenons l’éternel. Sans cela, nous ne serions ni libres ni Ă  l’aise pour le discuter. Les plus victimes, le lendemain du jour oĂč on ne croirait plus en Dieu, seraient les athĂ©es. On ne philosophe jamais plus librement que quand on sait que la philosophie ne tire pas Ă  consĂ©quence. Sonnez, cloches, bien Ă  votre aise ; plus vous sonnerez, plus je me permettrai de dire que votre gazouillement ne signifie rien de distinct. Si je craignais de vous faire taire, ah ! c’est alors que je deviendrais timide et discret. Ce qui nous plaĂźt surtout dans le CohĂ©let, c’est la personnalitĂ© de l’auteur. On ne fut jamais plus naturel ni plus simple. Son Ă©goĂŻsme est si franchement avouĂ©, qu’il cesse de nous choquer. Ce fut certainement un homme aimable. J’aurais eu mille fois plus de confiance en lui que dans tous les hasidim ses contemporains. La bontĂ© du sceptique est la plus solide de toutes ; elle repose sur un sentiment profond de la vĂ©ritĂ© suprĂȘme Nil expedit. Il paraĂźt qu’il ne se maria pas. C’est la plus forte critique de son siĂšcle. De nos jours, il eĂ»t sĂ»rement trouvĂ© des femmes spirituelles et beaucoup moins mĂ©chantes qu’il ne le croit, pour le consoler et l’aimer. Les femmes se fĂąchent rarement du mal qu’on dit de leur sexe. Une certaine mauvaise humeur contre elles leur semble la preuve qu’on s’occupe d’elles ; or les femmes n’ont vraiment de dĂ©dain et d’aversion que pour celui qui vit tranquillement d’autre chose qu’elles. En leur disant qu’on a tout trouvĂ© fade, on ne leur dĂ©plaĂźt pas absolument. C’est par lĂ  que le CohĂ©let est un livre si profondĂ©ment moderne. Le pessimisme de nos jours y trouve sa plus fine expression. L’auteur nous apparaĂźt comme un Schopenhauer rĂ©signĂ©, bien supĂ©rieur Ă  celui qu’un mauvais coup du sort a fait vivre dans les tables d’hĂŽte allemandes. CohĂ©let, comme nous, fait de la tristesse avec de la joie et de la joie avec la tristesse ; il ne conclut pas, il se dĂ©bat entre des contradictoires ; il aime la vie, tout en en voyant la vanitĂ©. Surtout, il ne pose jamais. Il ne se complaĂźt pas dans l’effet qu’il produit ; il ne se regarde pas maudissant l’existence. Il est d’une parfaite sincĂ©ritĂ© en disant qu’il a tout trouvĂ© frivole et creux. On aime Ă  se le reprĂ©senter comme un homme exquis et de bonnes maniĂšres, comme un ancĂȘtre de quelque riche juif de Paris Ă©garĂ© en JudĂ©e du temps de JĂ©sus et des MacchabĂ©es. Ce que le CohĂ©let, en effet, est bien essentiellement et par excellence, c’est le juif moderne. De lui Ă  Henri Heine, il n’y a qu’une porte Ă  entr’ouvrir. Quand on le compare Ă  Élie, Ă  JĂ©rĂ©mie, Ă  JĂ©sus, Ă  Jean de Gischala, on a peine Ă  comprendre qu’une mĂȘme race ait produit des apparitions si diverses. Quand on le compare Ă  l’IsraĂ©lite moderne, que nos grandes villes commerçantes d’Europe connaissent depuis cinquante ans, on trouve une singuliĂšre ressemblance. Attendez deux mille ans, que la fiertĂ© romaine se soit usĂ©e, que la barbarie ait passĂ©, vous verrez combien ce fils des prophĂštes, ce frĂšre des zĂ©lotes, ce cousin du Christ, se montrera un mondain accompli ; comme il sera insoucieux d’un paradis auquel le monde a cru sur sa parole ; comme il entrera avec aisance dans les plis de la civilisation moderne ; comme il sera vite exempt du prĂ©jugĂ© dynastique et fĂ©odal ; comme il saura jouir d’un monde qu’il n’a pas fait, cueillir les fruits d’un champ qu’il n’a pas labourĂ©, supplanter le badaud qui le persĂ©cute, se rendre nĂ©cessaire au sot qui le dĂ©daigne. C’est pour lui, vous le croiriez, que Clovis et ses Francs ont frappĂ© de si lourds coups d’épĂ©e, que la race de Capet a dĂ©roulĂ© sa politique de mille ans, que Philippe-Auguste a vaincu Ă  Bouvines, et CondĂ© Ă  Rocroi. VanitĂ© des vanitĂ©s ! Oh ! la bonne condition pour conquĂ©rir les joies de la vie que de les proclamer vaines ! Nous l’avons tous connu, ce sage selon la terre, qu’aucune chimĂšre surnaturelle n’égare, qui donnerait tous les rĂȘves d’un autre monde pour les rĂ©alitĂ©s d’une heure de celui-ci ; trĂšs opposĂ© aux abus et pourtant aussi peu dĂ©mocrate que possible ; avec le pouvoir Ă  la fois souple et fier ; aristocrate par sa peau fine, sa susceptibilitĂ© nerveuse et son attitude d’homme qui a su Ă©carter de lui le travail fatigant, bourgeois par son peu d’estime pour la bravoure guerriĂšre et par un sentiment d’abaissement sĂ©culaire dont sa distinction ne le sauve point. Lui qui a bouleversĂ© le monde par sa foi au royaume de Dieu, ne croit plus qu’à la richesse. C’est que la richesse est, en effet, sa vraie rĂ©compense. Il sait travailler, il sait jouir. Nulle folle chevalerie ne lui fera Ă©changer sa demeure luxueuse contre la gloire pĂ©rilleuse-ment acquise ; nul ascĂ©tisme stoĂŻque ne lui fera quitter la proie pour l’ombre. L’enjeu de la vie est selon lui tout entier ici-bas. Il est arrivĂ© Ă  la parfaite sagesse jouir en paix, au milieu des Ɠuvres d’un art dĂ©licat et des images du plaisir qu’on a Ă©puisĂ©, du fruit de son travail. Surprenante confirmation de la philosophie de vanitĂ© ! Allez donc troubler le monde, faire mourir Dieu en croix, endurer tous les supplices, incendier trois ou quatre fois votre patrie, insulter tous les tyrans, renverser toutes les idoles, pour finir d’une maladie de la moelle Ă©piniĂšre, au fond d’un hĂŽtel bien capitonnĂ© du quartier des Champs-ÉlysĂ©es, en regrettant que la vie soit si courte et le plaisir si fugitif. VanitĂ© des vanitĂ©s ! TABLE Note de l'Ă©diteur. 7L’EcclĂ©siaste. 11Épilogue. 63Étude sur le plan, l'Ăąge et le caractĂšre du livre. 67 ↑ L'auteur se dĂ©signe lui-mĂȘme Ă  mots couverts. ↑ Comparez Prov, I, 1. ↑ Prov, ch. XXX et XXXL ↑ Ch. XII, 8. La traduction syriaque a partout Qouhalto. ↑ OrigĂšne, dans EusĂšbe, Hist, eccl, VI, 25. ↑ C’est Ă  tort que l’on a voulu considĂ©rer ces formes bizarres comme une altĂ©ration du texte ancien. Cf. Graf, Der Prophet Jeremia. ↑ Voir Mission de PhĂ©nicie. ↑ Le seul passage du livre qui ait en apparence un accent de piĂ©tĂ© XII prĂȘte Ă  de grands doutes. M. GrĂŠtz soupçonne BorĂ©ka de signifier tout autre chose que ton crĂ©ateur ». ↑ Un iad ou massĂ©bet, IsaĂŻe, LVI, 3 et suiv. C’est l’idĂ©e du massĂ©bet bahaĂŻm, cippe parmi les vivants », des inscriptions phĂ©niciennes. V. Corpus inscr, semit., le part., n° 58, 59. ↑ Judaea gens contumelia numinum insignis. Pline, Hist. nat., XIII, 4 9. ↑ Hou el-bĂąqi des musulmans. ↑ Cantique d’ÉzĂ©chias, dans IsaĂŻe, ch. XXXVIII, 9 et suiv. ; Ps. VI, 6 ; CXIV, 17 ; Eccl., XII. ↑ II Petri. III,13. ↑ Il est remarquable que les premiers docteurs chrĂ©tiens qui essayent d’amalgamer le christianisme avec la philosophie grecque, saint Justin et Tatien, ne croient nullement Ă  l'Ă©ternitĂ© de l’ñme. Pour eux, l’ñme est essentiellement mortelle. Dieu la rend immortelle par une faveur et une sorte de miracle. Il faut noter que Justin et Tatien Ă©taient des Syriens. Voir Marc-AurĂšle, p. 111. ↑ Job, VII, 15. ↑ Chap. XXXVIII. ↑ Voir Vie de JĂ©sus, ch. XIII. ↑ Se le reprĂ©senter par l'inscription des Beni-Hezir, prĂšs de JĂ©rusalem, Ă  peu prĂšs contemporaine de JĂ©sus-Christ. ↑ Saint JĂ©rĂŽme, Ad Pammachium, de optimo genere interpretandi, Opp., IV, 2e partie, p. 255 Martianay. ↑ Ch. VI, 59, cum seculo, qui est sĂ»rement la traduction de sun ton aiĂŽna. Voir L'Église chrĂ©tienne. ↑ Le mot medina pour dĂ©signer une province, et le fait d'esclaves gouverneurs et hauts fonctionnaires, seraient plutĂŽt caractĂ©ristiques de l'Ă©poque perse ; mais l'Ă©tat administratif de l'Orient n'a jamais beaucoup variĂ©. ↑ Qu'on se rappelle toutes ces Ăšres de villes autonomes qui datent, en Syrie, de l'an 125 Ă  peu prĂšs ↑ Aucun des exemples allĂ©guĂ©s par M. GrĂŠtz ne me paraĂźt dĂ©cisif. ↑ DiogĂšne LaĂ«rte, II, 86 ; VI, 97. ↑ Voir 'Les Évangiles ↑ Les traces qu'on en a cru voir dans le Testament des douze patriarches Nepht., 2, 8 et dans saint Justin Apol. I, c. 57 ; Dial., c. 6 sont plus que douteuses. La phrase banale, Eccl., XII, 13, se retrouve dans le Pasteur d'Hermas, mand. VII, init. ; mais il n'est nullement probable que ce soit lĂ  un emprunt fait au livre pseudo-salomonien. ↑ Pitra, Spicil, Solesm., I. ↑ Ut eam ad contemptum istius seculi provocarem et omne quod in mundo cerneret putaret esse pro nihilo. PrƓf, in Eccl, ad Paulam et Eust, Opp, t. II. Martianay. ↑ KohĂ©let, oder der salomonische Prediger, Leipzig et Heidelberg, 1871. ↑ Revue des Ă©tudes juives, 1re annĂ©e, no 2, p. 184-185. ↑ Seul le chapitre XV de notre traduction rĂ©siste Ă  tous les efforts bienveillants que l’on fait pour ne pas avouer que l’auteur s’est endormi en l’écrivant.
\n \n \ndieu fait toute chose belle en son temps
Danstous vos actes, louez-moi. Dans tout ce que vous faites, exaltez-moi. Dans tout ce que vous faites, vivez cette passion pour ma suprĂ©matie, » ce qui signifie simplement que la passion de Dieu pour ĂȘtre glorifiĂ© et votre passion pour vous rĂ©jouir et ĂȘtre satisfait ne sont pas en dĂ©saccord. Ils vont de pair. PAROLES DE COHÉLET, FILS DE DAVID, ROI DE JÉRUSALEM. I VanitĂ© des vanitĂ©s, disait CohĂ©let ; vanitĂ© des vanitĂ©s ; tout est vanitĂ© ! Quel profit l’homme retire-t-il des peines qu’il se donne sous le soleil ? Une gĂ©nĂ©ration s’en va ; une gĂ©nĂ©ration lui succĂšde ; la terre cependant reste Ă  sa place. Le soleil se lĂšve ; le soleil se couche ; puis il regagne en hĂąte le point oĂč il doit se lever de nouveau. TantĂŽt soufflant vers le sud, ensuite passant au nord, le vent tourne, tourne sans cesse, et revient Ă©ternellement sur les cercles qu’il a dĂ©jĂ  tracĂ©s. Tous les fleuves se jettent dans la mer, et la mer ne regorge pas, et les fleuves reviennent au lieu d’oĂč ils coulent pour couler encore. Tout est difficile Ă  expliquer ; l’homme ne peut rendre compte de rien ; l’Ɠil ne se rassasie pas Ă  force de voir ; l’oreille ne se remplit pas Ă  force d’entendre. Ce qui a Ă©tĂ©, c’est ce qui sera ; ce qui est arrivĂ© arrivera encore. Rien de nouveau sous le soleil. Quand on vous dit de quelque chose Venez voir, c’est du neuf », n’en croyez rien ; la chose dont il s’agit a dĂ©jĂ  existĂ© dans les siĂšcles qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s. Les hommes d’autrefois n’ont plus chez nous de mĂ©moire ; les hommes de l’avenir n’en laisseront pas davantage chez ceux qui viendront aprĂšs eux. II Moi, CohĂ©let, j’ai Ă©tĂ© roi sur IsraĂ«l, Ă  JĂ©rusalem. La premiĂšre application que je fis de mon esprit fut de rechercher et d’examiner avec soin tout ce qui se passe sous le soleil. J’arrivai bientĂŽt Ă  reconnaĂźtre que c’est la pire des occupations que Dieu ait donnĂ©es aux fils d’Adam pour s’y user. Ayant vu, en effet, toutes les choses qui se font sous le soleil, je n’y trouvai que vanitĂ© et pĂąture de vent. On ne peut redresser ce que Dieu crĂ©a courbe, Ni faire quelque chose avec ce qui n’est pas. Je me disais en moi-mĂȘme Me voilĂ  grand ; j’ai accumulĂ© plus de science qu’aucun de ceux qui ont vĂ©cu avant moi dans JĂ©rusalem ; mon intelligence a vu le fond de toute chose ; j’ai appliquĂ© mon esprit Ă  connaĂźtre la sagesse et Ă  la discerner de la folie. » J’appris bien vite que cela aussi est pĂąture de vent ; car Qui thĂ©saurise la sagesse ThĂ©saurise aussi la tristesse,Et trop de science entasserC’est mauvaise humeur amasser. III Alors je me dis Ă  moi-mĂȘme Voyons, essayons de la joie ; goĂ»tons le plaisir. » Je devais reconnaĂźtre que cela aussi est vanitĂ© ; car bientĂŽt Au rire je dis Folie !»Au plaisir Que me veux-tu ? » Je rĂ©solus, dis-je, en mon cƓur de demander au vin le bien-ĂȘtre de ma chair et, sans renoncer pour cela Ă  mes projets de sagesse, d’adhĂ©rer momentanĂ©ment Ă  la folie, jusqu’à ce que j’eusse dĂ©couvert ce qui vaut le mieux pour les fils d’Adam, entre tant d’occupations diverses auxquelles ils se livrent sous le soleil durant les jours de leur vie. Je fis de grandes Ɠuvres ; je me bĂątis des palais ; je me plantai des vignes ; je me construisis des jardins et des parcs ; j’y plantai des arbres fruitiers de toute sorte ; je fis creuser des rĂ©servoirs d’eau pour arroser mes bois de haute futaie ; j’achetai des esclaves des deux sexes ; si bien que le nombre des enfants de ma maison, de mes bƓufs et de mes brebis surpassa celui que personne eĂ»t jamais possĂ©dĂ© avant moi Ă  JĂ©rusalem. En mĂȘme temps, j’entassai dans mes trĂ©sors l’argent, l’or, l’épargne des rois et des provinces ; je me procurai des troupes de chanteurs et de chanteuses et toutes les dĂ©lices des fils d’Adam de quelque genre que ce fĂ»t. Ainsi je devins plus grand et j’amassai plus de bien que tous ceux qui avaient Ă©tĂ© avant moi Ă  JĂ©rusalem, sans que pour cela ma sagesse m’abandonnĂąt. Et je ne refusai Ă  mes yeux rien de ce qu’ils souhaitĂšrent, je n’interdis Ă  mon cƓur aucune joie. AprĂšs tout, me disais-je, je ne fais que jouir de ce que j’ai gagnĂ© par mon travail ; ces plaisirs sont la rĂ©compense des peines que je me suis donnĂ©es. » Puis, m’étant mis Ă  considĂ©rer les Ɠuvres de mes mains et les travaux auxquels je m’étais livrĂ©, je reconnus que tout est vanitĂ© et pĂąture de vent, que rien n’est profit solide sous le soleil. IV Je me pris alors Ă  Ă©tudier quelle diffĂ©rence il peut y avoir entre la sagesse d’une part, la folie et la sottise de l’autre. Car, me disais-je, quel homme venant aprĂšs un roi peut refaire les expĂ©riences qu’il a faites ? » Je crus d’abord que la supĂ©rioritĂ© de la sagesse sur la sottise est comme la supĂ©rioritĂ© de la lumiĂšre sur les tĂ©nĂšbres. Le sage a des yeux dans sa tĂȘte, Et le fou marche dans la nuit. Or bientĂŽt je vis qu’une mĂȘme fin est rĂ©servĂ©e Ă  tous les deux. Et je pensai en moi-mĂȘme Si la destinĂ©e qui m’attend est la mĂȘme que celle du fou, que me sert alors d’avoir travaillĂ© sans relĂąche Ă  augmenter ma sagesse ? » Et je dis en mon cƓur Encore une vanitĂ©. » Il n’y a pas plus de souvenir Ă©ternel pour le sage que pour le fou. Dans ce qui sera le passĂ© des jours Ă  venir, tout sera oubliĂ©. Comment se fait-il que le sage et le fou meurent de la mĂȘme maniĂšre ?... Ces rĂ©flexions me firent prendre la vie en haine ; j’eus de l’aversion pour tout ce qui se passe sous le soleil, voyant que tout est vanitĂ© et pĂąture de vent. Et je pris en dĂ©goĂ»t les travaux auxquels je m’étais livrĂ© sous le soleil, songeant qu’il faudrait en laisser le fruit Ă  l’homme qui me succĂ©dera. Or cet homme, qui sait s’il sera sage ou fou ? Et c’est cet homme-lĂ  qui sera le maĂźtre de tout ce que j’ai gagnĂ© par les travaux que j’ai menĂ©s Ă  fin avec tant de labeur et de sagesse sous le soleil ! Encore une fois, vanitĂ© ! Je me pris donc Ă  n’avoir que du dĂ©goĂ»t au cƓur pour tous les travaux auxquels je m’étais livrĂ© sous le soleil. VoilĂ  un homme dont la vie laborieuse a Ă©tĂ© un chef-d’Ɠuvre de sagesse, de savoir et de bonne fortune, eh bien, il laisse tout ce qu’il a gagnĂ©, sa juste part, Ă  quelqu’un qui n’y a Ă©tĂ© pour rien. Quelle vanitĂ© ! Quel abus ! car enfin que revient-il ainsi Ă  cet homme-lĂ  de toutes les peines et de tous les soucis qu’il s’est donnĂ©s sous le soleil ? Ses jours ont Ă©tĂ© pleins d’ennui ; l’inquiĂ©tude a Ă©tĂ© son Ă©tat habituel ; mĂȘme la nuit son esprit ne dormait pas. Ô vanitĂ© ! Ne vaut-il donc pas mieux pour l’homme, manger, boire, goĂ»ter Ă  son aise le plaisir conquis au prix de son travail ? J’arrivai mĂȘme Ă  penser que ce genre de bonheur nous vient de la main de Dieu. Si l’on mange, si l’on boit, n’est-ce pas grĂące Ă  lui ? Il donne Ă  celui qui lui plaĂźt sagesse, intelligence et joie ; Ă  celui qui encourt sa disgrĂące il assigne la besogne d’amasser, d’entasser des richesses qu’il donne ensuite Ă  celui qui lui plaĂźt. Donc, encore une fois VanitĂ© ! pĂąture de vent ! V Il y a temps pour tout, et chaque chose sous le ciel a son heure Temps de naĂźtre et temps de mourir, Temps de tuer, temps de guĂ©rir, Temps de planter, temps de dĂ©truire, Temps de bĂątir, temps d’arracher, Temps de gĂ©mir, temps de danser, Temps de pleurer et temps de d’assembler les blocs, temps de les disperser, Temps d’aimer les baisers et temps de les maudire, Temps de poursuivre un rĂȘve ou de se d’interdire, Temps d’aimer un objet, temps de le repousser. Temps oĂč l’on coud, oĂč l’on dĂ©chire, Temps oĂč l’on garde, oĂč l’on se tait, Temps oĂč l’on hait, oĂč l’on soupire, Temps de la guerre et temps de paix. Que reste-t-il donc Ă  l’homme, des peines qu’il a prises ? J’ai vu toutes les occupations que Dieu a donnĂ©es aux fils d’Adam pour qu’ils s’y abrutissent. Il a fait toute chose bonne Ă  son heure ; le monde, il le dĂ©roule devant les hommes, mais de façon que, d’un bout Ă  l’autre, ils ne puissent rien comprendre Ă  ses desseins. Donc, conclus-je alors, il n’y a qu’une seule chose bonne pour l’homme, c’est de se rĂ©jouir et de goĂ»ter le bonheur pendant qu’il vit. Oui, quand un homme mange, boit, jouit du bien-ĂȘtre acquis par son travail, cela est un don de Dieu. Je vis clairement que tout ce que Dieu a fait restera Ă©ternellement tel qu’il l’a fait. Rien n’y peut ĂȘtre ajoutĂ© ; on n’en saurait rien retrancher. Tout cela, Dieu l’a fait pour qu’on le craigne. Le passĂ© a existĂ© dans un passĂ© antĂ©rieur ; l’avenir a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© ; Dieu recherche, pour le faire ĂȘtre encore, ce qui semblait avoir fui pour jamais. VI J’ai vu une autre chose sous le soleil c’est le mĂ©chant assis au lieu oĂč se rendent les jugements et l’iniquitĂ© trĂŽnant sur le siĂšge de justice. Dieu, me suis-je dit d’abord, jugera le juste et le mĂ©chant ; car il a fixĂ© un temps Ă  toute chose. » Mais bientĂŽt j’ai reconnu que les enfants d’Adam ne sont pas aussi privilĂ©giĂ©s de Dieu qu’ils le paraissent et qu’ils n’ont en rĂ©alitĂ© aucune supĂ©rioritĂ© sur l’animal. Car la destinĂ©e des enfants d’Adam et celle des animaux sont une seule et mĂȘme chose. La mort des uns, c’est la mort des autres ; il n’y a qu’un mĂȘme souffle en tout ; la supĂ©rioritĂ© de l’homme sur l’animal n’existe pas ; tout est vanitĂ©. Tout va vers un mĂȘme lieu. Tout est venu de la poussiĂšre et tout retourne Ă  la poussiĂšre. Qui sait si, tandis que le souffle des enfants d’Adam monte en haut, le souffle de l’animal descend en bas, vers la terre ? Je me confirmai donc dans cette pensĂ©e qu’il n’y a pour l’homme qu’une seule chose vraiment bonne, c’est de jouir lui-mĂȘme du fruit de ses Ɠuvres ; c’est lĂ  son vrai lot en effet, aprĂšs sa mort, qui le ramĂšnera pour voir comment les choses se passeront ? VII Et je me remis Ă  observer, et je vis les actes d’oppression qui se passent sous le soleil. Partout des opprimĂ©s baignĂ©s de larmes, et personne pour les consoler ! Des gens suppliant qu’on les tire des mains de ceux qui les oppriment, et personne pour les dĂ©livrer Alors je fĂ©licitai les morts et je prĂ©fĂ©rai le sort de ceux qui ont disparu avant nous au sort des vivants dont l’existence s’est prolongĂ©e jusqu’à prĂ©sent. Plus heureux que les uns et que les autres me parurent ceux qui n’ont jamais existĂ©, puisqu’ils n’ont pas vu les choses qui se passent sous le soleil. Je compris que tout effort, tout succĂšs se rĂ©sume en jalousie, en dĂ©sir de surpasser son semblable. Encore une vanitĂ©, une pĂąture de vent ! L’insensĂ© se croise les mains Et vit de sa propre substance. Mieux vaut une poignĂ©e de bonheur calme que les deux mains pleines de labeur et de vains soucis. VIII Autre vanitĂ© que j’ai vue sous le soleil un homme seul, qui n’a personne pour lui succĂ©der[1], ni fils ni frĂšre, et il travaille tout de mĂȘme sans relĂąche, et son Ɠil ne se rassasie pas de voir affluer chez lui les richesses. Eh ! pour qui donc travaillĂ©-je, se dit-il parfois, et privĂ©-je mon Ăąme de tout plaisir ? » Encore une vanitĂ©, une triste chose ! Deux valent mieux qu’un ; car, quand deux sont associĂ©s, leur travail a sa rĂ©compense. Si l’un des deux tombe, l’autre le relĂšve ; mais malheur Ă  l’homme seul ! S’il tombe, il n’a pas de second pour le relever. Si deux sont couchĂ©s ensemble, ils ont chaud ; mais l’homme seul, comment se rechauffera-t-il ? Quand le brigand s’attaque au voyageur qui a un compagnon, tous deux se rĂ©unissent pour lui tenir tĂȘte. Le fil tressĂ© de trois brins ne se rompt pas vite. IX Mieux vaut un garçon pauvre et avisĂ© qu’un vieux roi absurde, qui ne sait plus se laisser Ă©clairer. Tel passe en un moment de la prison au trĂŽne ; Tel est nĂ© misĂ©rable en ses futurs Ă©tats. J’ai vu tout le monde s’empresser Ă  la suite du jeune hĂ©ritier qui doit succĂ©der au vieux roi. Infinis ont Ă©tĂ© les maux qu’on a soufferts dans le passĂ© ; mais, dans l’avenir, on n’aura pas plus Ă  se rĂ©jouir de celui-ci... Toujours vanitĂ© et pĂąture de vent! X Observe bien tes pas quand tu vas Ă  la maison de Dieu. Mieux vaut l’obĂ©issance Ă  la loi que les sacrifices des sots qui ne savent que faire le mal. RĂ©prime les empressements de ta bouche, et que ton cƓur ne se hĂąte pas de profĂ©rer des promesses en prĂ©sence de Dieu ; car Dieu est dans le ciel, et, toi, tu es sur la terre. Que tes paroles soient donc en petit nombre. Les songes, en effet, viennent Ă  tout propos, La voix du sot se perd en un flot de paroles. Quand tu as fait un vƓu Ă  Dieu, ne tarde pas Ă  l’accomplir ; Dieu n’aime pas les sots. Acquitte ce que tu as vouĂ© ; mieux vaut ne pas faire de vƓux que d’en faire et de ne pas les accomplir. Ne permets pas Ă  ta propre bouche de te constituer pĂ©cheur, et ne te mets pas en situation d’ĂȘtre obligĂ© de dire Ă  l’envoyĂ© des prĂȘtres C’était une erreur », de peur que Dieu ne s’irrite et qu’il n’anĂ©antisse l’Ɠuvre de tes mains. Tous ces songes n’aboutissent qu’à un tas de paroles vaines ; crains plutĂŽt Dieu ! XI Si tu vois dans la province le pauvre opprimĂ© et la rapine prendre la place de la justice et du jugement, ne t’en Ă©tonne pas ; c’est que les grands sont surveillĂ©s par des grands et qu’au-dessus d’eux il y a des grands encore. L’excellence de la terre se montre en tout ; le roi mĂȘme est soumis aux champs. Celui qui aime l’argent est insatiable d’argent ; celui qui aime l’opulence n’en goĂ»te pas toujours les fruits. Quelle vanitĂ© encore ! Quand s’augmente la fortune, se multiplient ceux qui la grugent et le propriĂ©taire n’en tire d’autre avantage que de voir la chose de ses yeux. Doux est le sommeil du laboureur, qu’il mange peu ou beaucoup, tandis que la satiĂ©tĂ© ne permet pas au riche de dormir. XII Il y a un travers bizarre que j’ai vu sous le soleil c’est la richesse qu’un possesseur jaloux garde soigneusement pour son hĂ©ritier. Que cette richesse vienne Ă  pĂ©rir par quelque accident et le fils qu’il a mis au monde a les mains vides. Quant Ă  lui, sorti nu du sein de sa mĂšre, il s’en va tel qu’il est venu, et il n’est pas une parcelle du fruit de son travail qu’il puisse emporter dans sa main. Oui, c’est lĂ  un travers bizarre. De la mĂȘme façon qu’il est venu, il s’en ira... Quel profit lui revient-il d’avoir travaillĂ© pour le vent ? Tous ses jours se sont passĂ©s sombres et tristes ; il a Ă©normĂ©ment peinĂ© ; sa vie n’a Ă©tĂ© qu’impatience. Mon avis est donc que le meilleur parti pour l’homme est de manger, de boire et de jouir du fruit des peines qu’il s’est donnĂ©es sous le soleil, durant le nombre de jours que Dieu lui a comptĂ©. VoilĂ  son vrai lot. Toutes les fois que Dieu accorde Ă  un homme des richesses, des trĂ©sors, et qu’il lui permet d’en goĂ»ter, d’en prendre sa part, de se rĂ©jouir du fruit de son travail, il faut regarder cela comme un don de Dieu. L’homme, en effet, cesse de penser Ă  la briĂšvetĂ© des jours de sa vie tout le temps que Dieu tient son cƓur en joie. XIII Encore un mal que j’ai vu sous le soleil et qui pĂšse lourdement sur l’humanitĂ©. C’est le cas d’un homme Ă  qui Dieu a donnĂ© richesse, trĂ©sors, honneurs, qui ne manque de rien de ce qu’il dĂ©sire, et Ă  qui Dieu ne permet pas de jouir de sa fortune, si bien qu’un Ă©tranger mange le tout Ă  sa place. VoilĂ  une vanitĂ© et un abus Ă©trange ! Quand mĂȘme un homme donnerait le jour Ă  cent fils et qu’il vĂ©cĂ»t des annĂ©es aussi nombreuses que l’on voudra, s’il ne goĂ»te aucun plaisir, et qu’aprĂšs sa mort il n’ait pas de sĂ©pulture, je dis que le sort de l’avorton vaut mieux que le sien. L’avorton est venu dans le vide, il s’en va dans les tĂ©nĂšbres ; son nom est recouvert Ă  jamais par la nuit ; il n’a pas vu le soleil. Mieux vaut son sort que celui de cet homme. Lors mĂȘme qu’on vivrait deux fois mille ans, si avec cela on ne jouit d’aucun plaisir, qu’est-ce que cela ? Toutes les choses n’aboutissent-elles pas au mĂȘme terme ? XIV L’homme ne travaille que pour sa bouche et n’arrive pas encore Ă  se rassasier. Quel avantage a le sage sur le fou ? Que revient-il Ă  l’homme modeste qui s’applique Ă  marcher avec sagesse devant les vivants ? Mieux vaut vivre Ă  sa guise que de s’extĂ©nuer. Trop de vertu est aussi une vanitĂ©, une pĂąture de vent. Tout ce qui existe est dĂ©terminĂ© avant d’exister; tel ĂȘtre a Ă©tĂ© prĂ©destinĂ© Ă  naĂźtre homme ; il ne pourra pas tenir tĂȘte Ă  plus fort que lui. XV Il y a une sagesse qui s’en va rĂ©pĂ©tant Ă  tout propos VanitĂ© !... quel profit pour l’homme ?... Qui sait ce qui est bon pour l’homme durant le petit nombre de jours qu’il passe parmi les vivants, jours frivoles qui fuient comme une ombre ?... Qui peut enseigner Ă  l’homme ce qui aprĂšs lui se passera sous le soleil ? » Mieux vaut un bon renom que l’huile parfumĂ©e ; Mieux vaut le dernier jour que le jour oĂč l’on naĂźt. Mieux vaut aller Ă  la maison des pleurs Qu’à la maison oĂč se donne la fĂȘte A tous la mĂȘme fin s’apprĂȘte; Vivants, rentrez donc en vos cƓurs. Mieux vaut le souci que le rire ;La tristesse du front est bonne pour le cƓur. Le sage toujours pense Ă  la maison de deuil; Le fou ne sait rĂȘver qu’à la maison de joie. Mieux vaut le ton grondeur du sage Que la chanson de l’insensĂ©. Les rires de l’écervelĂ© Ressemblent au bruit du feuillage Qui crĂ©pite sous le trĂ©pied. Eh bien, cela aussi est vanitĂ© ; L’oppression fait d’un sage un fou, Et perd le cƓur le plus vaut la fin que le commencement ; L’attente rĂ©ussit mieux que l’emportement. Ne sois donc pas prompt Ă  t’emporter ; car DĂ©pit, au sein des fous, Ă©lit son domicile. XVI Garde-toi de dire Comment se fait-il que les jours d’autrefois valaient mieux que ceux d’à prĂ©sent ? » Une pareille question n’est rien moins que sage. Sagesse vaut richesse pendant qu’on voit le soleil. L’abri que procure la sagesse vaut l’abri que donne l’argent, et la sagesse a un avantage, c’est qu’elle procure longue vie Ă  celui qui la possĂšde. ConsidĂšre l’Ɠuvre de Dieu ; Qui peut redresserCe qu’il a fait courbe ? Au jour du bonheur, sois en joie et, au jour du malheur, considĂšre que Dieu a fait le bien comme le mal ; jouis du prĂ©sent ; l’homme, en effet, une fois mort, ne trouvera rien aprĂšs lui. XVII J’ai vu tout arriver dans les jours de ma vaine existence. Tel juste pĂ©rit nonobstant sa justice ; et tel scĂ©lĂ©rat coule de longs jours nonobstant sa scĂ©lĂ©ratesse. Ne sois pas trop juste et n’affecte pas trop de sagesse, de peur d’ĂȘtre un niais. Ne sois pas non plus trop mĂ©chant, ne va pas jusqu’à la folie, de peur que tu ne meures avant le temps. La perfection c’est, tout en s’attachant Ă  un principe, de ne pas lĂącher le principe opposĂ© ; par la crainte de Dieu on sort de tous les embarras. La sagesse est pour le sage une force supĂ©rieure Ă  ce que sont dix capitaines pour une ville. Il n’y a pas d’homme juste sur la terre ; pas un seul qui fasse le bien et ne pĂšche pas. Laisse donc, sans les remarquer, bien des choses qui se disent. Par exemple, quand ton esclave profĂšre des malĂ©dictions contre toi, garde-toi d'entendre ; songe en toi-mĂȘme que souvent aussi il t’est arrivĂ© de profĂ©rer des malĂ©dictions contre les autres. J’ai examinĂ© tout cela en sage, me disant sans cesse Allons, plus de sagesse encore ! » Et voilĂ  que la sagesse est toujours restĂ©e loin de moi Qui peut saisir l’objet que le lointain dĂ©robe ? Qui peut toucher le fond de l’abĂźme sans fond ? XVIII Or, dans cette investigation universelle, dans cette recherche pour trouver ce qui est le parti le plus sage et le plus avisĂ©, dans cet examen qui fit passer devant mes yeux toutes les malices, toutes les insanitĂ©s, toutes les absurditĂ©s, toutes les folies, j’ai trouvĂ© quelque chose de plus amer que la mort c’est la femme dont le cƓur est un lac, un filet, et dont les mains sont des chaĂźnes. Celui qui plaĂźt Ă  Dieu se sauve d’elle ; le disgraciĂ© de Dieu s’y laisse prendre. Voyez, ceci est le rĂ©sultat de mon expĂ©rience, dit le CohĂ©let. En les prenant toutes une Ă  une, pour dresser la longue liste des choses que j’ai cherchĂ©es sans les avoir trouvĂ©es, je crois que j’ai bien trouvĂ© un homme sur mille ; mais une femme parmi toutes celles que j’ai connues, je n’en ai pas trouvĂ© une seule ! Tenez, voici ce que j’ai trouvĂ© c’est que Dieu a fait la nature humaine droite, et que ce sont les hommes qui inventent des roueries sans fin. » XIX Oh ! la belle chose qu’un sage ! Heureux qui sait le mot de tout !La sagesse d’un homme Ă©claire son visage, Tandis que l’insolent est bien prĂšs d’ĂȘtre un fou. Aie les yeux fixĂ©s sur la bouche du roi, pour lui obĂ©ir, comme si tu en avais prĂȘtĂ© le serment Ă  Dieu. Ne sors pas prĂ©cipitamment de sa prĂ©sence ; ne persiste pas avec lui dans des propos dĂ©sagrĂ©ables ; car il fait tout ce qu’il veut. Un mot d’un roi, c’est une force ; Qui peut lui dire Que fais-tu ? » Celui qui exĂ©cute bien l’ordre qu’il a reçu ne connaĂźtra pas la disgrĂące. Un esprit sage sait discerner le moment favorable et la maniĂšre de s’y prendre ; car, en toute chose, il y a le moment favorable et la maniĂšre de s’y prendre. Ce qui rend la condition de l’homme si mauvaise, c’est qu’il ignore ce qui doit arriver et que nul ne peut lui indiquer comment les choses se passeront. Personne n’a pouvoir sur le vent pour emprisonner le vent ; personne n’a pouvoir sur le jour de la mort, ni assurance de s’échapper le jour de la bataille. MĂȘme la richesse, Ă  ces moments-lĂ , ne sauve pas toujours son propriĂ©taire. XX J’ai vu tout cela et j’ai appliquĂ© ma pensĂ©e aux faits qui arrivent sous le soleil, dans un temps oĂč l’homme ne domine sur l’homme que pour lui faire du mal. Ainsi j’ai vu des enterrements de scĂ©lĂ©rats. Le convoi est en marche, s’éloigne en procession du lieu saint, et on entend faire l’éloge de ces misĂ©rables dans la ville oĂč ils ont commis leurs mĂ©faits. Encore une vanitĂ© ! C’est parce que prompte justice n’est pas faite du mal que les hommes sont enhardis Ă  pratiquer le mal. Tel pĂ©cheur qui a commis cent crimes arrive Ă  un Ăąge avancĂ©, et cependant on m’a enseignĂ© que le bonheur est rĂ©servĂ© Ă  ceux qui craignent Dieu, pour leur apprendre Ă  le craindre ; que le bonheur ne saurait ĂȘtre le partage du mĂ©chant ; que celui-ci ne vit pas longtemps ; que ses jours sont comme une ombre et cela parce qu’il ne craint pas Dieu. Est-il un renversement comparable Ă  celui-ci des justes qui sont traitĂ©s selon les Ɠuvres des mĂ©chants, des mĂ©chants qui sont traitĂ©s selon les Ɠuvres des justes ? Encore une vanitĂ© ! », me suis-je dit. Alors j’ai chantĂ© un hymne Ă  la joie, puisqu’il n’y a rien de bon pour l’homme sous le soleil que de manger, de boire, de se rĂ©jouir, et que c’est lĂ  tout ce qui lui reste des travaux auxquels il s’est livrĂ© durant les jours de vie que Dieu lui a donnĂ©s sous le soleil. Cherchant la vĂ©ritĂ©, poursuivant ma tentative de savoir tout ce qui se passe sur la terre, je vis ainsi les Ɠuvres de Dieu passer sous mon regard et je reconnus que l’homme, quand mĂȘme jour et nuit il refuserait le sommeil Ă  ses yeux, ne saurait arriver Ă  la comprĂ©hension de ce qui arrive sous le soleil. Non, quelque effort, quelque recherche qu’il fasse, il n’y arrivera jamais, et tel savant qui prĂ©tend en savoir quelque chose en rĂ©alitĂ© n’y comprend rien. XXI J'ai donc rĂ©flĂ©chi Ă  tout cela, et le fruit de mes rĂ©flexions a Ă©tĂ© que le sort des justes et des sages, comme celui de tout le monde, est, quoi qu’ils fassent, dans la main de Dieu. Amour et haine sont Ă©galement frivoles. L’homme ne sait rien ; tout ce qui le touche est vanitĂ©. Il n’y a, en effet, qu’une mĂȘme destinĂ©e pour tous, pour le juste comme pour le mĂ©chant, pour l’homme vertueux comme pour l’impie, pour celui qui est pur comme pour celui qui est souillĂ©, pour celui qui sacrifie comme pour celui qui ne sacrifie pas. Le meilleur des hommes est traitĂ© comme le pĂ©cheur, le parjure comme celui qui respecte le serment. VoilĂ  le plus grand mal qu’il y ait sous le soleil, c’est qu’il n’y ait qu’une mĂȘme destinĂ©e pour tous. VoilĂ  pourquoi l’ñme des enfants d’Adam est pleine de mĂ©chancetĂ©. La folie habite leur cƓur pendant leur vie ; aprĂšs cela, ils s’en vont chez les morts. Or cela vaut-il mieux ? Non. Les vivants au moins ont l’espoir. Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort. Les vivants savent qu’ils mourront tandis que les morts ne savent rien. Pour eux, plus de rĂ©compense, car leur mĂ©moire est oubliĂ©e. Leurs amours, leurs haines, leurs rivalitĂ©s ont pĂ©ri depuis longtemps, et il n’y a plus dĂ©sormais de part pour eux en tout ce qui se fait sous le soleil. Or sus donc ! mange ton pain en liesse, bois ton vin en bonne humeur, puisque Dieu a fait prospĂ©rer tes affaires. Que toujours tes habits soient blancs, que les parfums ne cessent de couler sur ta tĂȘte. Savoure la vie avec la femme que tu aimes, tous les jours de ce court passage que Dieu t’a donnĂ© d’accomplir sous le soleil, tous les jours, dis-je, de ta frivole existence ; car voilĂ  ton vrai lot, le prix des peines que tu t’es donnĂ©es sous le soleil. Toute affaire qui se prĂ©sente Ă  la portĂ©e de ta main, fais-la vite ; car il n’y aura ni activitĂ©, ni pensĂ©e, ni savoir, ni sagesse dans le scheol vers lequel se dirigent tous tes pas. XXII J’ai vu encore sous le soleil que, quand il s’agit de course, on ne s’adresse pas au meilleur coureur ; que, quand il s’agit de guerre, on ne fait point appel aux braves ; que le pain n’est pas pour les sages, ni la richesse pour les intelligents, ni la faveur pour ceux qui savent. Les circonstances et le hasard rĂšglent tout et l’homme ne connaĂźt pas plus l’heure de sa destinĂ©e que les poissons pris dans les rets et les oiseaux pris au piĂšge. Comme eux, les fils d’Adam sont engagĂ©s dans les filets pour l’heure fatale qui tombe sur eux Ă  l’improviste. Voici un exemple de sagesse que j’ai vu sous le soleil, et qui m’a paru frappant. Il y avait une petite ville qui comptait trĂšs peu d’habitants ; un roi puissant marcha contre elle, l’assiĂ©gea et bĂątit autour d’elle de grandes contrevallations. Or il se trouva dans cette ville un pauvre homme sage, et il fit si bien qu’il dĂ©livra la ville par sa sagesse. Et maintenant personne ne se souvient de ce pauvre homme. Et je fis deux rĂ©flexions Mieux vaut sagesse Que sagesse du pauvre est vite mĂ©prisĂ©e ; A ses conseils toute oreille est fermĂ©e. XXIII La voix du sage, Ă©coutĂ©e en silence,Vaut mieux que les clameurs du roi des Ă©tourdis. La sagesse vaut mieux que les engins de guerre ; d’un autre cĂŽtĂ© un seul pĂ©cheur suffit pour annuler beaucoup de bien. Une mouche morte gĂąte tout un vase de parfums ; de mĂȘme tout le prix de la sagesse et de la gloire est dĂ©truit par un peu de folie. A droite est le cƓur du sage ;A gauche est le cƓur du sot. Rien qu’à voir le sot faire un pas sur la route, on voit que la tĂȘte lui fait dĂ©faut ; par sa seule dĂ©marche il dit Ă  tout le monde Je suis un sot. » Il faut savoir se tenir. Si la colĂšre du souverain s’allume contre toi, ne quitte pas trop vite ta place ; car, si on se lĂšve trop vite, on donne lieu de croire qu’on a commis de grands mĂ©faits. XXIV Il y a un abus que j’ai vu sous le soleil et dont les autoritĂ©s sont la cause ; c’est quand les gens de rien sont placĂ©s en haut, et que les grands, les notables sont assis en bas. J’ai vu les valets Ă  cheval et les princes marcher Ă  terre comme des valets. On aura les consĂ©quences. Celui qui creuse une fosse y tombe ; celui qui dĂ©molit une muraille, le serpent le mord. Celui qui taille les pierres est atteint par les Ă©clats ; celui qui fend du bois en reçoit toujours quelque blessure. Un fer Ă©moussĂ©, dont on n’a pas affilĂ© le tranchant, est une force encore ; ainsi la sagesse finit par l’emporter. Quand le serpent mord celui qui le charme, quel beau profit pour le charmeur ! La parole du sage est de grĂące remplie, Et les lĂšvres du sot sont causes de sa mort. Il dĂ©bute par l’ineptie ; il finit par la plus triste insanitĂ©. Le niais multiplie les paroles. L’homme ne sait pas ce qui a Ă©tĂ© avant lui ; qui donc lui rĂ©vĂ©lerait ce qui aura lieu aprĂšs lui ? Bien sot qui prend pour lui le travail fatigant et n’a pas l’idĂ©e de venir Ă  la ville. XXV Malheur Ă  toi, pays qui as pour roi un esclave et dont les princes sont Ă  table dĂšs le matin ! Heureux pays, au contraire, qui as pour roi un fils d’homme libre et dont les princes mangent Ă  l’heure convenable, pour rĂ©parer leurs forces, non par sensualitĂ©. Le plancher s’effondre bien viteSur la tĂȘte des nonchalants ;Et la maison fait eau par suite Des bras balants. MisĂ©rables, qui se font un jeu du pain et du vin, faits pour rĂ©jouir honnĂȘtement la vie... L’argent couvre tout... Sous un tel gouvernement, il faut se dĂ©fier. MĂȘme quand tu es seul avec toi-mĂȘme, ne maugrĂ©e pas contre le roi ; au fond de ta chambre Ă  coucher, ne dis pas un mot contre l'homme puissant ; car l’oiseau du ciel pourrait saisir tes paroles et les faire voyager ; la gent ailĂ©e pourrait rapporter ce que tu as dit. XXVI Lance hardiment ta fortune en haute mer ; avec le temps, tu la retrouveras agrandie. Fais-en sept parts et mĂȘme huit ; car tu ne sais pas quel malheur peut tomber sur la terre. Quand le ciel se charge de nuages, c’est qu’une averse va tomber ; quand l’arbre se couche au midi ou au nord, l’endroit oĂč il tombe, c’est l’endroit oĂč il reste. Qui sur le vent trop dĂ©libĂšrePerd le moment d’ensemencer ; Qui toujours le ciel considĂšre Manque l’heure de moissonner. De mĂȘme que tu ignores la route que suit le souffle de vie pour arriver aux os de l’embryon dans le sein de la femme enceinte ; de mĂȘme que tu ne sais rien de la façon dont Dieu fait ce qu’il fait. SĂšme le matin, et le soir ne laisse pas reposer ta main ; car tu ne sais pas si c’est la semaille du matin ou celle du soir qui doit rĂ©ussir, ou si toutes les deux sont Ă©galement bonnes. TrĂšs douce est la lumiĂšre ;Rien n’est bon pour les yeux comme voir le soleil. Si un homme vit de nombreuses annĂ©es, toujours en joie, qu’il n’oublie pas que les jours sombres viendront et seront plus nombreux que les jours Ă©coulĂ©s. Tout est vanitĂ©. XXVII RĂ©jouis-toi, jeune homme, durant ta jeunesse, et amuse-toi dans les jours de ton adolescence ; marche dans les voies de ton caprice et selon ce qui te semble agrĂ©able ; mais sache que Dieu te demandera compte de tout cela. Écarte le souci de ton cƓur, Ă©pargne toute fatigue Ă  ta chair ; hĂąte-toi, car la jeunesse et la fraĂźcheur passent vite. Souviens-toi de ton crĂ©ateur aux jours de ta jeunesse, avant que viennent les jours du mal et qu’approchent les annĂ©es dont tu diras Rien ne m’y plaĂźt. » Avant que s’obscurcissent le soleil et la lumiĂšre, la lune et les Ă©toiles, et que les nuages remontent aussitĂŽt aprĂšs l’ondĂ©e ; Quand trĂ©buchent les sentinelles Debout sur le seuil du logis ; Quand se voilent les demoiselles Qui regardent par les treillis ; Quand des forts les roideurs flĂ©chissent ; Quand les servantes du moulin, En nombre insuffisant, mollissent Et cessent de broyer le grain ;Quand, chaque jour, on voit se fermer quelque porte, Du cĂŽtĂ© du bazar, entre le monde et soi ;Quand, des bruits du dehors, le vent ne vous apporte Que le cri de la meule et son grincement froid ; Quand du petit oiseau les chansons matinales Dissipent un sommeil venu tardivement ; Quand aux accords charmants des notes virginales SuccĂšde le repos du dĂ©senchantement ; Quand on craint les moindres montĂ©es, Que tout dans le chemin fait peur,Que pour la sauterelle on n’a que des nausĂ©es, Que l’amande est trop dure Ă  des dents Ă©brĂ©chĂ©es Et la cĂąpre impuissante Ă  rendre la vigueur Signe Ă©vident que dĂ©jĂ  l’on s’engageDans le chemin qui mĂšne au manoir Ă©ternel, Et que, dans le bazar, les pleureuses Ă  gage BientĂŽt vont commencer leur pas processionnel ; Avant que se rompe le cordon d’argent et que se brise l’ampoule d’or, que le seau se disloque sur la fontaine, que la poulie roule dans la citerne et que la poussiĂšre, faisant retour Ă  la terre, redevienne ce qu’elle Ă©tait d’abord, tandis que le souffle remontera vers Dieu qui l’a donnĂ©. VanitĂ© des vanitĂ©s, disait le CohĂ©let ; tout est vanitĂ©. Et, comme CohĂ©let possĂ©dait, outre cela, des trĂ©sors de sagesse, il continua d’enseigner le peuple ; il pesa, il scruta, il composa encore beaucoup de proverbes. CohĂ©let rechercha les paroles charmantes ; En maĂźtre il Ă©crivit les maximes du vrai. ↑ L'auteur se dĂ©signe lui-mĂȘme Ă  mots couverts.
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Quelquechose d’autre est possible, qui doit nous mobiliser pour affronter le temps actuel et ses difficultĂ©s. Le refus de l’espĂ©rance signe donc la victoire de la mort sur nous car l’espĂ©rance chrĂ©tienne est l’antidote Ă  toute fatalitĂ© et Ă  tout pessimisme. Cette espĂ©rance ne nous dĂ©douane pas de nos responsabilitĂ©s pour tout En tout temps, peuples, confiez-vous en Lui, rĂ©pandez vos cƓurs en sa prĂ©sence ! Dieu est notre refuge. Psaume 629 Heureux ceux qui respectent le droit, qui pratiquent la justice en tout temps ! Psaume 1063 Dieu fait toute chose belle en son temps; mĂȘme Il a mis dans leur cƓur la pensĂ©e de l’éternitĂ©, bien que l’homme ne puisse pas saisir l’Ɠuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin. EcclĂ©siaste 311 Souvenez-vous de ce qui s’est passĂ© dĂšs les temps anciens; car Je suis Dieu, et il n’y en a point d’autre, Je suis Dieu, et nul n’est semblable Ă  Moi. EsaĂŻe 469 JĂ©sus disait Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous, et croyez Ă  la bonne nouvelle. Marc 115 Lorsque les temps ont Ă©tĂ© accomplis, Dieu a envoyĂ© son Fils, nĂ© d’une femme, nĂ© sous la loi, afin qu’Il rachĂšte ceux qui Ă©taient sous la loi, afin que nous devenions enfants de Dieu. Galates 44-5 Faites en tout temps par l’Esprit toutes sortes de priĂšres et de supplications. Veillez Ă  cela avec une entiĂšre persĂ©vĂ©rance, et priez pour tous les saints. EphĂ©siens 618 Que le Seigneur de la paix vous donne lui-mĂȘme la paix en tout temps et de toute maniĂšre! Que le Seigneur soit avec vous tous ! 2 Thessaloniciens 316 Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlĂ© par le Fils, qu’Il a Ă©tabli hĂ©ritier de toutes choses, par lequel Il a aussi créé le monde. HĂ©breux 12 Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, afin qu’il vous Ă©lĂšve au temps convenable. 1 Pierre 56 D’autres suggestions? Propose-les dans les commentaires ci-dessous. Retrouve les autres 10 versets clĂ©s sur
 Cet article, publiĂ© dans La Bible, est taguĂ© 10 versets clĂ©s, Ă©ternel, belle, confiance, Dieu, hĂ©ritier, humilitĂ©, justice, naissance, paix, prĂ©sence, priĂšre, promesse, temps. Ajoutez ce permalien Ă  vos favoris. 3 Rappelle-toi TOUJOURS que Dieu fait toute chose belle en Son temps. Il ne t’oublie pas, mais Il fait travailler le temps et les circonstances en ta faveur, comme de l’argent sur un compte qui produit des intĂ©rĂȘts. Lorsque tu patientes, tu produis des intĂ©rĂȘts sur ton compte spirituel. Alors, quels que soient les temps ou quelles que soient les circonstances que tu traverses, Laissez-vous sĂ©duire par notre nouvelle collection Mon cadre inspiration ! DĂ©couvrez notre nouveau joli cadre dĂ©co avec le verset Dieu fait toute chose belle en son temps. EcclĂ©siaste 3, 11 CrĂ©ation CEDIS,assemblĂ© en France Drapeau français Vendu dans une belle boĂźte cadeau design Dimensions cadre 20 x 15 cm, 400 g b8Bd.
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